Le moins que l’on puisse dire, c’est que les objets présentés aujourd’hui ne comptent pas parmi les plus connus du ciel ! Pourtant situées dans la populaire constellation de Cassiopée, ces deux nébuleuses planétaires sont quasiment inaccessibles en visuel et n’ont été découvertes que tardivement grâce à la photographie.
La première d’entre elles (en haut de l’image) a été découverte en 1955 par l’astronome américain Georges Abell, grâce à l’étude des plaques photographiques réalisées à l’observatoire du Mont Palomar et a été intégrée au catalogue de nébuleuses planétaires qui porte son nom, sous l’entrée n°6.
A noter que ce « catalogue Abell des nébuleuses planétaires » comptait initialement 86 objets, dont certains préalablement découverts par d’autres astronomes (tels que Wilson, Hubble ou Zwicky…) mais que quelques-uns d’entre eux ont ensuite été écartés car non-confirmés comme nébuleuses planétaires.
Dans l’article explicatif de son catalogue, Abell indique pour seul commentaire de cet objet, outre sa petite taille apparente (3′, soit 1/10 de la pleine lune) et la faible magnitude de son étoile centrale (mag ~20), la mention « fortement obscurcie« .
En effet, la constellation de Cassiopée est située dans l’axe de la voie lactée, et est donc parcourue de grands nuages de gaz et de poussières situés dans le plan galactique. En outre, comme on peut le constater sur l’image mise à l’honneur ce mois-ci, la zone est parcourue par des nuages plus ou moins denses d’hydrogène ionisé. Cette forte densité en matière interstellaire contribue à atténuer la luminosité des objets situés en arrière-plan.
De fait, la magnitude d’Abell 6 ne dépasse pas 14,3, ce qui réserve son observation visuelle aux possesseurs d’instruments d’au moins 300 à 400mm de diamètre associé à un filtre OIII…
La seconde nébuleuse planétaire – incontestablement la plus impressionnante mais aussi la moins lumineuse des deux – répond au doux nom de HFG1, d’après les noms des trois astronomes (Heckathorn, Fesen & Gull) qui l’ont découverte en 1982, en utilisant des moyens ingénieux qui méritent d’être expliqués ici.
A cette époque, même dans les plus grands observatoires, les photographies du ciel étaient encore réalisées sur des films argentiques ; ce qui limitait énormément la détectivité des objets faiblement lumineux, et plus encore dans le cas des objets n’émettant faiblement que dans certaines longueurs d’ondes précises comme les nébuleuses planétaires (essentiellement en OIII).
Lorsqu’on sait que cette nébuleuse reste un véritable « challenge » à photographier avec les moyens amateurs actuels (très difficile avec une caméra CCD et un peu plus accessible avec un capteur CMOS, mais dans les deux cas avec un très bon ciel et de très longs temps de pose), on imagine que la photographie d’un tel objet il y a une quarantaine d’année relevait d’un authentique exploit !
Cette performance avait en réalité été réalisée dès 1979, grâce au « Survey PGK« , dirigé par l’astronome R.A.R Parker avec d’autres collaborateurs (dont T.R. Gull, l’un des codécouvreurs de cette nébuleuse) au moyen d’un dispositif conçu sur mesure pour mettre en évidence les faibles nébuleuses planétaires dans la bande d’émission OIII.
Ce dispositif était composé :
– d’un instrument optique à grand angle consistant en un téléobjectif Nikkor de 300mm ouvert à f/2,8 (donc très lumineux) ;
– d’un filtre interférentiel centré sur la raie OIII, d’une bande passante de 28nm avec une transmission maximale de 60% (on rappellera que les filtres amateurs modernes dépassent allègrement les 90% avec une bande passante de seulement 3nm, offrant donc un contraste bien meilleur !) ;
– de plaques photographiques argentiques, préalablement hypersensibilisées au moyen d’un trempage dans un bain contenant un mélange d’hydrogène et d’azote (technique dite « forming gas« , dont les plus curieux trouveront une description précise et passionnante sur le site de Serge Bertorello) ;
– et enfin, spécificité de ce dispositif : un « intensificateur d’image » permettant d’amplifier considérablement en sortie la luminosité très faible d’une source lumineuse en entrée.
Cette technologie reposait sur l’utilisation de fibres optiques, ainsi que d’anodes et photocathodes pour l’opération d’amplification : les photons captés en entrée sont transformés en électrons par les photocathodes, puis ces électrons sont ensuite multipliés lors de leurs passages dans des micro-canaux spécifiques avant d’être finalement reconvertis en photons par un dernier dispositif.
Cet instrument pouvait être monté sur plusieurs étages successifs (en « cascade« ) – comme dans le dispositif utilisé pour ce survey – pour amplifier encore davantage le signal lumineux en sortie.
Une manière, en quelque sorte, « d’augmenter le gain » sur les photographies argentiques de l’époque, comme on peut le faire aujourd’hui très simplement sur nos caméras CMOS.
Bien que le survey PGK ait permis d’identifier de très nombreuses nébuleuses planétaires faibles encore inconnues, cet objet – qui figurait pourtant sur les plaques photographies obtenues – n’avait malencontreusement pas été identifié comme candidat malgré sa dimension importante de 15′ de diamètre (soit la moitié de la pleine lune).
Il faudra attendre 1982 pour que Heckathorn, Fesen et Gull, en se basant sur les plaques du survey PGK, identifient clairement cet objet comme une nébuleuse planétaire avec des observations photographiques et spectroscopiques spécifiques.
Pour la photographier avec une meilleure résolution que le survey PGK, les 3 astronomes ont utilisé un dispositif similaire à celui décrit ci-dessus, mais au foyer d’un télescope de 0,9m de l’observatoire Kitt Peak et avec un filtre OIII plus sélectif (22nm de bande passante et 73% de transmission).
Malgré les dispositifs d’amplification utilisés, des poses de 60 à 90 minutes ont été nécessaires pour que le signal soit suffisamment exploitable ; et compte-tenu du champ très restreint résultant du dispositif de prise de vue, une mosaïque de 3 images a du être réalisée pour photographier l’objet dans son ensemble.
L’image obtenue est présentée ci-contre : on y découvre alors en détails les principales structures centrales (3 lobes distincts), ainsi que le front d’onde de choc principal.
A noter que la publication originale relatant la découverte de cette nébuleuse planétaire constitue une lecture passionnante !
Si Abell 6 constitue un archétype classique d’une nébuleuse planétaire, avec une forme circulaire presque parfaite correspondant à la représentation la plus simple que l’on peut se faire de l’éjection des couches superficielles d’une étoile de taille moyenne en fin de vie, HFG1 présente quant à elle une physionomie manifestement plus complexe.
On pourrait à première vue penser que sa structure est également assez circulaire, si l’on se fie uniquement aux formations visibles dans la raie OIII (en bleu), en considérant que les zones visibles en Ha (en rouge) sont seulement des nuages d’hydrogène ionisé visibles en arrière-plan.
En réalité, il n’en est rien : les observations professionnelles ont démontré que cette nébuleuse présente une « traine« , visible en Ha, associée physiquement à la structure circulaire principale.
Cette nébuleuse planétaire doit son aspect « cométaire » à son étoile double centrale « pré-cataclysmique » V664 Cas, composée d’une naine blanche et une géante rouge d’environ 3 masses solaire en rotation rapide l’une autour de l’autre, en déplacement à une vitesse d’environ 60 km/s au sein du milieu interstellaire environnant et provoquant ainsi un front d’onde de choc matérialisé par l’arc de cercle plus dense bien visible en OIII.
Des simulations informatiques visant à modéliser la structure et la dynamique de cette nébuleuse tendent par ailleurs à montrer que les forts vents stellaires générés par la géante rouge doivent nécessairement être variables pour expliquer sa morphologie particulière.
La « traine » s’étend pour sa part dans la direction opposée, sur environ 20′ ; ce qui correspond compte-tenu de la vitesse de déplacement du système binaire, à la matérialisation de sa trajectoire au cours des 10 derniers millénaires.
L’image mise à l’honneur ce mois-ci, réalisée par Julien Cadena et Mickael Coulon, a nécessité 90h de pose réparties de manière à peu près égale entre les poses Ha et les poses OIII : il n’en faut pas moins pour révéler aussi bien le signal très ténu de ces nébuleuses mais aussi les faibles draperies Ha présentes dans cette zone !
La qualité du ciel et des acquisitions est bien sûr primordiale pour détecter au mieux le faible signal et l’exploiter ensuite au traitement. Sur cette image, on perçoit immédiatement que l’ensemble de ces aspects a bénéficié de conditions idéales ; notamment au vu de la qualité du fond de ciel et des très fines nuances dans les zones de signal les plus faibles.
Le traitement, réalisé en HOO avec des étoiles RGB, est tout aussi remarquable, avec une mise en valeur admirable du signal obtenu : des dégradés de luminosité bien dosés, des détails fins, des couleurs parfaitement ajustées, un bruit très limité…
Au-delà de sa grande beauté, cette image nous permet également de mesurer les extraordinaires progrès techniques accomplis au cours des 40 dernières années, puisqu’il est aujourd’hui possible pour les amateurs d’obtenir de superbe images de ces faibles objets qui semblaient – il n’y a pas si longtemps – quasiment inaccessibles aux professionnels !
Northern France Remote (NFR), est une équipe de deux astrophotographes : Mickael Coulon et Julien Cadena.
Ils ont choisi d’offrir à leur matériel astrophotographique une vie plus belle, loin de la pollution lumineuse et de la météo si caractéristique des Hauts-de-France…
C’est sous le ciel d’Andalousie, chez Pixelskies, que leur matériel est maintenant hébergé.
L’équipe s’est formée par le biais du Groupement d’Astronomes Amateurs Courrièrois, le GAAC dont ils sont membres.
Julien s’est passionné pour l’astronomie très jeune. Ces premières observations se font dans un Newton 115/900. Les passages des comètes Hyakutake (1996) et surtout Hale-Bopp (1997) vont le faire définitivement tomber dans la marmite. C’est durant la période Covid, et avec l’évolution de la technologie des caméras, qu’il se lance dans l’astrophotographie du ciel profond.
Mickael, également passionné par l’astronomie depuis tout jeune, a commencé l’astrophotographie par le biais du paysage nocturne, qu’il pratique toujours en parallèle du projet NFR avec la série « Les Nuits du Nord ».
La présente image d’Abell6 et d’HFG1 est la seconde de l’équipe. Les conditions météorologiques exceptionnelles de l’Espagne, associées à un ciel peu pollué, permettent de photographier des objets exotiques mais aussi de revisiter certains grands classiques du ciel.
Inutile de dire qu’avec de tels débuts, nous attendons leurs prochaines images avec impatience !
Date : du 23 nov. au 22 déc. 2023 (9 nuits)
Lieu : PixelSkies – Espagne (observatoire personnel en remote)
Optique : ASKAR 107 PHQ
Monture : SW EQ6-R ProII
Caméra : ZWO ASI 2600MM Pro
Filtres : Antlia
Ha : 541 x 300s
OIII : 501 x 300s
R/G/B : 3 x (60 x60s)
Total : 89h50
Echantillonnage : 1″/px
Traitement : Pixinsight
Les Photons d’Or récompensent chaque mois une image particulièrement remarquable réalisée par un amateur… n’hésitez pas à proposer vos images !
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