Amélioration du setup (3) : nouvelle caméra et rotateur de champ
Une nouvelle caméra et un nouveau train optique intégrant un rotateur de champ… le setup est désormais quasi-totalement automatisé pour les séances d’acquisition !
L’image mise à l’honneur pour commencer cette année 2021 est exceptionnelle à plus d’un titre !
En premier lieu parce que l’image en elle-même est magnifique – on reconnait parfaitement la « patte » de Marcel Drechsler et sa maestria du traitement qui ont contribué à faire de lui l’un des astrophotographes les plus réputés au monde – mais surtout car il s’agit de la première image réalisée d’un objet récemment découvert, qui demeure mystérieux à bien des égards !
Il s’agit en effet d’une nébuleuse planétaire « candidate » (c’est-à-dire n’ayant pas encore été confirmée par une observation spectroscopique), découverte en janvier 2020 par les astronomes amateurs Marcel Drechsler et Xavier Strottner; et que ces derniers ont surnommée « la coupe de feu ».
Ce tandem franco-allemand n’en est pas à sa première, puisqu’ils totalisent à eux deux plus de 100 découvertes, dont 16 nébuleuses planétaires confirmées et une autre quinzaine « probables ». En dehors de leur collaboration, chacun d’entre eux est également découvreur de nombreux objets (une centaine au total, dont une vingtaine de nébuleuses planétaires confirmées). Une moisson particulièrement impressionnante qui fait de cette collaboration l’une des plus prolifiques parmi les amateurs du monde entier.
Pour réaliser ces découvertes, Marcel et Xavier « épluchent » avec rigueur et minutie les atlas photographiques digitalisés du ciel (les fameux « surveys« ), librement consultables en ligne. Une telle méthode permet d’analyser plus de zones du ciel qu’en se limitant à ses propres images déjà réalisées… De longues heures sont ainsi nécessaires pour déceler sur les images la trace d’un objet non répertorié, recouper les données avec d’autres surveys (notamment en Ha), essayer d’identifier une naine blanche à proximité, etc.
Un travail de fourmi qui ne trouve le plus souvent son aboutissement que plusieurs mois plus tard, avec la confirmation de la nature de l’objet au moyen de la spectroscopie. Outre la nécessaire présence d’une naine blanche, le spectre des nébuleuses planétaires possèdent en effet des caractéristiques particulières qui permettent de statuer de manière fiable sur la nature de l’objet, en particulier la présence de raies d’émissions en OIII, NII et Ha.
C’est avec cette méthode que Marcel et Xavier ont relevé sur un survey Ha, en janvier 2020, le signal d’une forme irrégulière dans la constellation du Triangle ; non loin de la célèbre galaxie M33.
En voyant cette image (ci-contre), on mesure à quelle point une telle recherche peut s’avérer complexe : difficile de réellement se rendre compte de l’existence d’un signal entre le bruit de fond, les artefacts, les défauts du capteur ou d’autres nébulosités environnantes… La faible résolution du survey en question n’aide pas non plus à se faire une idée précise de l’objet – si tant est qu’il existe réellement !
Confortés par la présence de 2 naines blanches à proximité, Marcel et Xavier sont suffisamment confiants dans le potentiel de cet objet pour le signaler auprès du groupe de travail formé par Pascal Le Dû et Thomas Petit (sous le haut patronage initial de l’astrophysicienne Agnès Acker), qui vise à répertorier toutes les nébuleuses planétaires candidates francophones.
La taille apparente de l’objet est si importante (44′ x 36′, soit plus grand que la pleine Lune !) qu’une telle nébuleuse doit nécessairement pouvoir être photographiée avec des moyens amateurs (ce qui n’est pas toujours possible, en particulier pour les candidates les plus petites voire d’aspect ponctuel), afin de lever tout doute quant à son existence.
Le duo devient alors trio, avec l’aide de l’astronome amateur Robert Pölzl qui va cumuler plus de 90h de pose sur cet objet (essentiellement en Ha et en OIII) entre juillet et novembre 2020, depuis son observatoire personnel situé dans l’ouest de l’Autriche. Marcel Drechsler a ensuite procédé au traitement d’image, sur la base des 60 meilleures heures d’acquisition.
Là où le relevé du survey ne laissait deviner qu’une un faible signal mal défini, l’image finale révèle de spectaculaires nébulosités d’aspect filamentaires, avec une forme « globalement » sphérique !
Si la présence d’une naine blanche localisée vers le centre de la nébuleuse et des zones Ha et OIII bien marquées vont dans le sens d’une nébuleuse planétaire, il faudra cependant attendre l’observation spectroscopique pour confirmer cette hypothèse qui reste aujourd’hui « probable », bien que soulevant quelques interrogations…
La première porte sur la distance et la taille réelles de la nébuleuse.
La naine blanche (présumée) est localisée au centre de la structure de la nébuleuse. Sa température de surface est estimée à 35 000 K et elle émet un très fort rayonnement ultraviolet.
Sa distance estimée est de 347 parsecs (d’après les dernières mesures de GAIA), ce qui conduit à estimer la dimension du grand axe de la nébuleuse à un peu plus de 14 années-lumière.
Une telle dimension est considérable pour une nébuleuse planétaire. A titre de comparaison, M27 dépasse juste 1 AL de diamètre et la nébuleuse Helix 2,5 AL.
Si la nature de nébuleuse planétaire est confirmée pour StDr56, il s’agira alors de l’une des plus grandes connues !
De telles dimensions posent, en outre, une autre question : l’âge de la nébuleuse et sa vitesse d’expansion.
D’après les observations réalisées sur les autres nébuleuses planétaires, la vitesse d’expansion se situe habituellement entre 10 et 30 km/s (soit au maximum environ 100 000 km/h). Mais, même en retenant la vitesse la plus grande, l’âge de la nébuleuse dépasserait dans ce cas les 80 000 ans… bien au-delà de ce qui est connu pour les autres nébuleuses planétaires.
Les modèles théoriques prévoient en effet que de telles nébuleuses ne peuvent perdurer plus de 10 000 à 20 000 ans, en raison du refroidissement de l’étoile centrale qui entraine un arrêt de l’ionisation de la matière éjectée, de la « dilution » de cette matière dans l’espace environnant, et des diverses interactions avec le milieu interstellaire.
Une autre interrogation porte sur la forme relativement atypique (mais pas inédite) de StDr56 pour une nébuleuse planétaire.
Ces dernières présentent habituellement une forme davantage sphérique et une répartition plus homogène de la matière éjectée par l’étoile à la fin de sa séquence principale.
L’aspect « filamentaire » que l’on observe dans le cas de StDr56 (tant sur la couche Ha que sur la couche OIII, bien que cette dernière soit plus ténue et diffuse) est encore mal compris, mais pourrait s’expliquer par le fait que l’étoile à l’origine de la nébuleuse planétaire possédait un champ magnétique particulièrement fort et que, lors de l’expulsion des couches externes de l’étoile, la matière se soit alignée sur les lignes de champ magnétique, créant ainsi cette structure en « filaments » répartis de manière inhomogène (l’oxygène ionisé OIII étant notamment beaucoup plus présent dans la partie sud-ouest de la nébuleuse).
Certains modèles théoriques prévoient en effet que, si dans la plupart des cas la pression radiative joue un rôle prédominant lors de la formation des nébuleuses planétaires (aboutissant à une dilution rapide du champ magnétique), l’énergie magnétique peut être prédominante dans certains cas particuliers.
Par ailleurs, la présence d’un champ magnétique puissant pourrait expliquer que la matière ionisée ait été fortement accélérée lors de la phase d’expulsion des couches externes de l’étoile, atteignant ainsi des vitesses supérieures à celles observées habituellement pour les nébuleuses planétaires. Dans ce cas, l’âge de la nébuleuse (estimé d’après sa taille réelle) devrait être revu à la baisse et pourrait donc être compatible avec les modèles théoriques.
Mais même en revoyant à la baisse son âge, cette nébuleuse devrait malgré tout être relativement ancienne, compte-tenu de ses dimensions. Comment expliquer alors que sa structure soit si bien préservée ? Un autre élément important à prendre en compte est la faible densité du milieu interstellaire dans l’environnement immédiat de la nébuleuse, et plus généralement dans la constellation du Triangle dans son ensemble. Ce milieu raréfié aurait permis à la nébuleuse d’évoluer sans subir d’interactions majeure, et donc de préserver sa structure pendant une durée plus longue. Nous aurions ainsi la chance d’observer aujourd’hui la forme évoluée et presque intacte d’une nébuleuse planétaire assez ancienne.
Naturellement, ces données et ces hypothèses doivent être prises avec des pincettes. D’une part parce que les observations réalisées sur cet objet sont aujourd’hui très limitées et qu’aucune observation spectroscopique n’a encore été réalisée. Nul doute que le spectre de cet objet apportera un grand nombre d’informations utiles pour mieux en comprendre sa nature et son évolution. D’autre part, car les processus à l’œuvre dans le cadre de la formation des nébuleuses planétaires, et en particulier l’influence des champs magnétiques dans ce processus, demeurent encore aujourd’hui mal compris.
Dans tous les cas, que cet objet soit confirmé comme une nébuleuse planétaire ou non (un rémanent de supernova ?), les questions qu’il soulève sont passionnantes. Nous ne manquerons donc pas de compléter cet article lorsque plus d’informations auront été confirmées dans les mois à venir.
Cette « Coupe de feu », à défaut d’être de nature magique à l’image de sa source d’inspiration dans l’univers d’Harry Potter, n’en est pas moins mystérieuse et fascinante. Rien d’étonnant à ce que ce soit trois « sorciers » de l’astro aussi talentueux que Marcel Drechsler, Xavier Strottner et Robert Pölzl qui l’aient révélée avec tant de beauté !
Date : juillet/novembre 2020
Lieu : Hirschegg – Autriche
Optique : Lacerta Newton 10″ (f4)
Monture : ASA DDM85
Caméra : Moravian G2-8300
Filtres : Baader
Ha : 58 x 1800 (bin1)
OIII : 41 x 1800s (bin1)
R : 28 x 600s (bin1)
G : 28 x 600s (bin1)
B : 28 x 600s (bin1)
Total : 59h
Les Photons d’Or récompensent chaque mois une image particulièrement remarquable réalisée par un amateur… n’hésitez pas à proposer vos images !
Une nouvelle caméra et un nouveau train optique intégrant un rotateur de champ… le setup est désormais quasi-totalement automatisé pour les séances d’acquisition !
« Vous (oui, vous !) pouvez soutenir Photon Millenium ! » Vous appréciez Photon Millenium et peut-être même le consultez-vous régulièrement ? Vous souhaitez soutenir mon travail et contribuer au développement du site ? Vous avez amélioré vos traitements grâce aux tutos
Hubert Reeves nous a quitté le 13 octobre 2023. Parti rejoindre les étoiles qu’il aimait tant, il laisse les amoureux du ciel ici-bas emplis d’une infinie tristesse. Hommage à celui qui aura été une source d’inspiration pour beaucoup d’astronomes amateurs.