Amélioration du setup (3) : nouvelle caméra et rotateur de champ
Une nouvelle caméra et un nouveau train optique intégrant un rotateur de champ… le setup est désormais quasi-totalement automatisé pour les séances d’acquisition !
Le Soleil – notre étoile – est à ce point intégré à notre vision du monde depuis les origines qu’il nous semble totalement familier ; à tel point que pour une personne ne s’intéressant pas à l’astronomie, il est perçu comme un objet stable, immuable et probablement éternel. Chaque jour de notre vie, de notre naissance à notre mort, le Soleil se lève immanquablement le matin pour se coucher le soir, dictant notre quotidien et le rythme biologique de la quasi-totalité des espèces vivantes sur Terre.
Mais comme souvent, les choses qui nous semblent les plus familières sont celles qui recèlent le plus de mystères…
Il y a 400 ans, l’idée d’associer le Soleil à une étoile n’allait pas de soi. Et cela ne fait qu’un petit siècle que l’on comprend la source de l’énergie du Soleil, quand l’astronome anglais Eddington suggéra, pour la première fois en 1920, que celle-ci pourrait être expliquée par les réactions thermonucléaires ; idée qui sera développée et approfondie par Hans Bethe et Charles Critchfield en 1938 avec des chaines de réactions plus précises (« proton-proton » puis le « cycle du carbone »).
Depuis, nos connaissances ont énormément progressé : la formation, l’évolution, la composition et la structure du Soleil sont désormais bien mieux comprises, d’une part en raison des avancées théoriques – notamment en physique quantique – mais également grâce à l’amélioration considérable des moyens d’observation dans tout le spectre (Ha, rayons X, ultraviolet, gamma, etc.).
Le développement d’instruments dédiés pour observer les différentes « couches » externes du Soleil, y compris quelques satellites spatiaux (SOHO, SDO et bientôt Solar Orbiter) scrutant en permanence sa surface pour l’étudier de manière dynamique ont également permis de mieux comprendre l’évolution de phénomène rapides ou cycliques.
Car contrairement aux apparences, le Soleil est un astre qui évolue en permanence. Au quotidien avec la rotation de sa surface, l’apparition de tâches, la granulation, les éruptions… mais aussi sur de plus longs termes, par exemple avec un cycle de 11 ans pour l’intensité de son activité et de 22 ans pour son champ magnétique.
Mais, si nous observons son activité avec de plus en plus de détails, notre étoile recèle encore de très nombreux mystères… à tel point qu’il n’existe pas de théorie parfaitement complète pour expliquer l’origine, la nature et l’évolution des tâches solaires que l’on observe quotidiennement en surface !
Le terme de « surface » est d’ailleurs impropre, puisque le Soleil n’étant pas un corps solide, il n’existe qu’une succession de couches plus ou moins denses, dont seulement certaines sont observables au-dessus de la zone convective. Au-delà de cette zone de transition, le terme « d’atmosphère » est donc plus adapté. Celle-ci se compose de la photosphère (région directement observable où la lumière est libérée dans l’espace), la chromosphère (observable uniquement pendant les éclipses ou avec des équipements spéciaux Ha) puis la couronne (région beaucoup moins dense mais beaucoup plus chaude).
C’est la photosphère qui est ici mise à l’honneur avec cette série d’images, et pour mieux comprendre ce que l’on y voit, il est nécessaire de dire quelques mots sur les mécanismes internes du Soleil.
L’énergie est créée dans la partie centrale, le noyau (environ 1/3 du diamètre), par des réactions nucléaires très énergétique. La température y atteint 15 millions de degré et le rayonnement est particulièrement riche en rayons gamma.
Ce rayonnement n’est pas émis tel quel par l’étoile mais est transformé au fur et à mesure de son voyage vers la surface, tout d’abord dans la « zone radiative » (entre 0,3 et 0,8 rayon solaire) par mécanisme d’absorption et de réémission successifs, qui ont pour effet « d’étaler » le rayonnement sur un spectre plus large et moins énergétique, puis dans la « zone convective » (entre 0,8 et 1 rayon solaire) où l’énergie n’est plus transportée par rayonnement mais par convection vers la surface : le rayonnement chauffe la matière qui monte et se refroidit à proximité de la surface.
Contrairement à la zone radiative, où la rotation est « rigide », la zone convective est animée d’une rotation différentielle (plus rapide à l’équateur qu’aux pôles) : la zone de frottement entre ces deux zones (la « tachocline« ) étant à l’origine du champ magnétique solaire.
Le « voyage » de la lumière pour parvenir du noyau à la surface est donc en réalité extrêmement long : un photon émis au centre met en moyenne 2 millions d’années pour parcourir une distance de 2 secondes-lumière ! Ce long et complexe transfert de rayonnement et d’énergie se manifeste de plusieurs manières différentes dans l’atmosphère solaire et notamment dans sa première couche qu’est la photosphère, haute d’environ 500 km.
Les structures les plus caractéristiques de la photosphère sont les « granules », le sommet des cellules convectives engendrées dans la zone de convection : la surface du Soleil en est constellée, puisqu’on peut y dénombrer environ 4 millions à chaque instant, en évolution rapide et permanente. Chacune de ces cellules, qui constitue la face émergée du « bouillonnement » de notre étoile, est grande comme la France et disparait au bout de 5 à 10 minutes en étant remplacée par de nouvelles granules.
La différence de température entre le centre de la cellule et son bord est de 300K environ. Visuellement, cela se traduit par un centre plus lumineux et des bords plus sombres : la granulation dans son ensemble prend alors l’apparence de grains brillants séparés les uns et des autres par des zones plus sombres et étroites, appelées « intergranules« .
Évolution de la granulation solaire sur 10 minutes : la meilleure résolution jamais obtenue grâce au New Solar Telescope de l’Observatoire de Big Bear (les plus fins détails font 30 km !). Notez la présence de « bright spots » et de « filigrees » particulièrement bien visibles ! (Crédits : NSO, NSF, AURA, Inouye Solar Telescope).
C’est au niveau de ces intergranules qu’émerge majoritairement le champ magnétique de la zone convective, ce qui se manifeste de plusieurs manières :
– Les tubes de flux magnétiques : générés par une brusque éruption du champ magnétique sur un petit segment de la surface dans la zone intergranules, ils se manifestent sous l’apparence de points brillants d’une taille d’une centaine de kilomètres et d’une durée de vie de quelques minutes.
Ces points peuvent apparaitre de manière isolée entre les granules (« bright spots« ), ou regroupés sous la forme de « guirlandes » (« filigrees« ).
Ces phénomènes sont bien visibles aussi sur la vidéo ci-dessus.
– Les taches solaires : elles peuvent atteindre des dimensions de plusieurs centaines de milliers de kilomètres et ont une durée de vie de quelques heures à plusieurs semaines.
Elles apparaissent composées d’une zone centrale très sombre (« ombre ») et d’une zone filamenteuse plus claire (« pénombre »). Cet aspect obscur n’est essentiellement du qu’à un effet de contraste avec la luminosité des zones environnantes, mais traduit aussi une température plus basse que dans les granules.
Au sein des taches, plus aucune trace de granulation : cette disparition est couramment attribuée à l’inhibition des mouvements de convection par le champ magnétique.
Les mécanismes à l’œuvre dans la création et l’évolution de ces structures sont encore largement mal compris, de même que les liens qu’ils entretiennent manifestement avec les régions plus centrales du Soleil (comme le laisse à penser la rotation plus rapide des taches par rapport à la photosphère…).
L’étude de ces structures dans les différentes couches de l’atmosphère solaire est donc primordiale pour mieux comprendre ces phénomènes.
Par exemple, l’observation d’une tache en lumière visible, au niveau de la photosphère, est très différente de la même structure observée en Ha ou en ultraviolet au niveau de la chromosphère (image ci-contre, à 171nm), qui révèle alors les différentes lignes de champ magnétique le long desquelles les jets de plasma sont contraints dans leurs projections.
Ces observations doivent également être complétées dans d’autres longueurs d’ondes (UV, gamma, Calcium-K…) et par d’autres techniques (sismologie solaire, magnétogramme…) pour avoir une idée plus globale des phénomènes, en percevoir toutes les implications et pouvoir développer des modèles théoriques cohérents et les plus complets possibles.
Pour l’amateur, l’observation du Soleil est une activité passionnante : non seulement car il s’agit de la seule étoile « à portée de main » dont il est possible d’observer la surface, mais surtout car c’est le seul objet qui offre des évolutions très rapides, parfois observables pendant quelques minutes seulement. Le bouillonnement permanent de la granulation, l’apparition d’éruptions parfois aussi impressionnantes que fugaces : le Soleil est tellement actif et dynamique qu’il est même impossible pour un amateur d’assurer un suivi de l’ensemble des phénomènes visibles au cours d’une seule journée !
En outre, il est possible de recourir à une multitude d’instruments et d’accessoires pour observer au mieux les différents phénomènes : en lumière visible pour la photosphère (avec différents filtres éventuellement…), en Ha pour la chromosphère, sous différentes longueurs d’onde avec un Sol’Ex développé par Christian Buil… il y en a pour tous les goûts et pour toutes les bourses.
Rien d’étonnant donc à ce que certains amateurs choisissent de se « spécialiser » dans l’observation et l’étude du Soleil ! Et le terme « spécialisation » n’est pas d’un vain mot tant l’observation du Soleil pose différents problèmes spécifiques, tant au niveau du matériel que des techniques d’acquisition.
Le premier d’entre eux est bien sûr de réguler le flux lumineux en entrée afin de ne pas risquer d’abimer le matériel (ou pire ses yeux…) : alors que les photographes du ciel profond cherchent désespérément à capter le moindre photon, l’observateur solaire cherche au contraire à réduire considérablement le rayonnement, au moyen de différents filtres ou matériels spécifiques (filtres en entrée à 1:10000, hélioscope, etc.).
David Dominé a, pour sa part, fait un choix drastique en faisant réaliser sur mesure un miroir « non-aluminé » ne réfléchissant qu’une petite fraction de la lumière, l’essentiel étant naturellement « évacué » à l’arrière du tube. En combinaison avec d’autres filtres (pour bloquer le rayonnement infrarouge), cela permet de limiter considérablement la montée en température dans le tube et ainsi de bénéficier d’une meilleure stabilité d’image, cruciale pour l’observation de la photosphère en haute résolution.
David utilise également d’autres outils pour rendre cet instrument polyvalent, comme par exemple un Quark Daystar permettant d’observer la chromosphère.
Il lui est alors possible de réaliser des images distinctes de la photosphère et de la chromosphère pour les mêmes zones, ce qui permet (comme nous l’avons vu ci-dessus) d’obtenir des informations complémentaires et très intéressantes sur les mêmes phénomènes ; par exemple ci-contre sur un groupe de taches dont la physionomie change radicalement selon la technique d’observation : granulation et détails des taches sur la photosphère, éruptions et lignes de champ sur la chromosphère.
Au niveau de la technique instrumentale et d’acquisition, on se rapproche ici de ce qui se fait en planétaire : la qualité de l’optique et le soin apporté à la collimation sont essentiels pour pousser l’instrument dans ses derniers retranchements en terme d’échantillonnage. Reste ensuite à ce que le ciel soit de la partie pour exploiter au mieux l’instrument !
Comme dans les autres domaines de l’astrophotographie, seule une maitrise totale de la chaine d’acquisition, du réglage du matériel jusqu’au traitement, permet d’obtenir des résultats superlatifs.
C’est ce que nous propose régulièrement David et en particulier avec cette incroyable série d’images où il a réussi – après 7 ans de tentatives ! – à saisir les très fins et fugaces « bright spots » et « filigrees » dans les zones intergranulaires.
Une prouesse d’autant plus remarquable que ces images ont été réalisées avec un télescope de « seulement » 250mm situé au niveau de la mer… alors que l’observation de ces phénomènes est habituellement plutôt réservée à des télescopes de 300 ou 400mm en altitude, sans parler des instruments professionnels !
Au-delà des compétences et de l’expérience, c’est surtout la persévérance, la patience et quasiment la « dévotion » de David à l’observation du Soleil qui est récompensée avec de telles images. Car le matériel, aussi bon soit-il, ne fait pas tout : encore faut-il avoir la ténacité d’observer régulièrement et avec assiduité, même quand les conditions ne sont pas parfaites, pour espérer – à de trop rares occasions – bénéficier de conditions idéales et réaliser un « touch down » !
« Touch doooooown« , « nice nice shot » ou « Kwisatz Haderach« .
Si ces termes ne vous sont pas familiers, c’est que vous n’êtes pas (encore) adepte du Shaihuludisme, une manière de vivre sa passion partagée par « Shaihulud » dont la bio officielle nous indique être natif d’Arrakis (3e planète autour de l’étoile Canopus dans la constellation de la Carène) !
Car derrière ces références constantes à « Dune », qui conduit son auteur a baptiser chacun de ses instruments (ou plutôt ses « bébés« ) d’un nom rendant hommage à l’œuvre culte de Franck Herbert, se cache un vrai intérêt scientifique.
De même que derrière le fantasque « Shaihulud », se cache David, attiré par les étoiles depuis son enfance et qui s’est lancé dans l’astrophotographie depuis 2014.
Suivre la voie du Shaihuludisme, c’est vivre sa passion à fond, sans se laisser dicter sa manière de faire et en se faisant plaisir : après avoir débuté et s’être perfectionné dans l’observation et l’imagerie planétaire, David s’est rapidement diversifié, en proposant de magnifiques clichés de notre étoile et devenant l’un des meilleurs adeptes du « lucky imaging » en ciel profond.
Cherchant continuellement à tirer le meilleur de ses instruments (8 aujourd’hui), David se rend régulièrement à l’observatoire Astro-Queyras (3000m d’altitude) afin d’observer le ciel dans les meilleures conditions possibles.
Une manière de faire mentir l’auteur de « Dune » (pour une fois !), selon lequel « l’espérance ternit l’observation« …
Date : 27 mai 2023
Lieu : Pomacle (France – 51)
Optique : Newton 251/1259 désaluminisé + Barlow 3x/5x
Monture : AZEQ6
Caméra : QHY290 MM (mono)
Filtres : Andover Corp. 495nm/4,95nm
Acquisitions : 20/60 frames (0,85-20ms)
Echantillonnage : 0,095″/px – 0,12″/px
Les Photons d’Or récompensent chaque mois une image particulièrement remarquable réalisée par un amateur… n’hésitez pas à proposer vos images !
Une nouvelle caméra et un nouveau train optique intégrant un rotateur de champ… le setup est désormais quasi-totalement automatisé pour les séances d’acquisition !
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Hubert Reeves nous a quitté le 13 octobre 2023. Parti rejoindre les étoiles qu’il aimait tant, il laisse les amoureux du ciel ici-bas emplis d’une infinie tristesse. Hommage à celui qui aura été une source d’inspiration pour beaucoup d’astronomes amateurs.