La constellation de Céphée regorge d’objets très populaires parmi les astronomes amateurs, soit en raison de leurs dimensions importantes (IC 1396, Sh2-155, Ced 214…), soit de leur luminosité suffisante pour obtenir une belle image avec quelques heures de pose seulement (NGC 7023 ou NGC 7380 par exemple).
Au milieu de ces trésors, se cachent également d’autres objets plus discrets, plus petits ou plus faiblement lumineux… Et par chance, deux d’entre eux sont réunis sur la photographie mise à l’honneur ce mois-ci : CTA1 et Caldwell 2 (ou NGC 40) !
Ces deux objets illustrent deux destins possibles pour la mort d’une étoile, selon leur masse initiale :
Si dans les deux cas, l’étoile mourante disperse dans l’espace environnant les éléments les plus lourds synthétisés – en contribuant ainsi à l’enrichissement du milieu interstellaire – la vitesse d’éjection est très différente : 20 à 30 km/s pour une nébuleuse planétaire et jusqu’à une fraction significative de la vitesse de la lumière dans le cas d’une supernova, avec une moyenne de 10 000 km/s !
Ces éléments sont ensuite ionisés par le rayonnement de la naine blanche ou celui des étoiles alentours au cours de leur expansion et de leur dilution dans le milieu interstellaire ; ce qui leur confère une durée de visibilité relativement limitée, de l’ordre d’une ou deux dizaine de milliers d’années…
Dans le cas de ces deux objets, les astronomes estiment que le rémanent de supernova CTA 1 s’est formé il y a environ 14 000 ans, tandis que la nébuleuse planétaire NGC 40 n’est âgée pour sa part que de 4500 ans.
Encore plus intéressant, ces deux objets sont situés à une distance quasiment identique (4500 AL pour CTA 1 et 3600 AL pour NGC 40) : on peut donc réellement se rendre compte de leurs dimensions « réelles » respectives au moyen de cette photographie les réunissant dans le même champ !
Plus âgé et bénéficiant d’une vitesse d’expansion plus rapide, le rémanent de supernova CTA 1 apparait logiquement beaucoup plus étendu que la nébuleuse planétaire NGC 40 : la taille de cette dernière est estimée à environ 1 AL, (soit 38″) tandis que CTA 1 s’étend sur environ 100 AL (pour une taille apparente de 1,5° dans le ciel) : le rémanent est d’ailleurs tellement grand qu’il n’apparait pas en entier sur l’image présentée ici…
L’image ci-contre, réalisée par Martin Rusterholtz et représentant CTA 1 dans son intégralité, permet pleinement d’apprécier la différence de taille « réelle » entre ces deux objets (tout en gardant à l’esprit que NGC 40 est située légèrement devant CTA1 et devrait en toute rigueur sembler 20% plus petite encore…).
Malgré cette proximité « relative », ces deux objets (de nature très différente donc), ne sont pas liés physiquement : il n’est pas inutile de le rappeler, dans la mesure où il peut être compliqué de déterminer sur une telle images les contours précis de NGC 40 et des rémanents de CTA 1 en arrière-plan.
En effet, NGC 40 présente – comme beaucoup de nébuleuses planétaires – une double structure : une coquille et un halo interne qui constituent la partie la plus lumineuse, et un halo externe beaucoup plus irrégulier et ténu avec la présence d’un « jet » en direction du sud. Des observations professionnelles réalisées avec le télescope infrarouge Spitzer ont montré que le halo interne est constitué de multiples structures d’anneaux à rayons radiaux qui se chevauchent (image ci-contre).
Une structure complexe dont l’origine est liée au type de l’étoile centrale qui appartient à la classe Wolf-Rayet (une étoile en fin de vie déficiente en hydrogène et présentant un taux de perte de masse très élevé et des vents stellaires puissants) ainsi qu’aux interactions de la matière éjectée avec le milieu interstellaire.
Outre le grand intérêt de présenter deux objets relativement peu photographiés (a fortiori ensemble – et en particulier CTA 1 où seulement une petite dizaine de versions sont présentes sur Astrobin), la présente image illustre parfaitement ce qu’il est possible d’obtenir en 2023 avec un matériel de qualité (optique et caméra) sous un ciel correct depuis la France… pour peu qu’on y consacre un temps de pose suffisant (42h tout de même ici…) et qu’on exploite pleinement les dernières techniques de traitement d’image !
De fait, l’image réalisée par Mathieu Guinot est superlative à tous points de vue : une parfaite mise en valeur du moindre photon de signal dans le rémanent de supernova mais en conservant un bruit totalement maitrisé (alors que cet objet est réputé particulièrement faible en luminosité…), un fond de ciel riche avec une belle mise en avant des zones Ha et OIII, une dynamique idéale qui permet d’accentuer la nébuleuse planétaire plus brillante mais pas au détriment des rémanents plus ténus, une palette de couleurs complexe et agréable, des étoiles bien colorées mais sans excès…
On reconnait parfaitement la « pâte » de Mathieu Guinot sur cette image (dont les qualités de traitement ne sont plus à prouver), tout en pouvant ressentir certaines influences extérieures : le fond de ciel rappelle par exemple les résultats obtenus par Marcel Drechsler en la matière… Inutile de préciser qu’il s’agit d’un compliment dont peu d’images peuvent se prévaloir ! 🙂
Il me semble en tout cas très important de souligner qu’il s’agit là d’un aspect essentiel de l’astrophotographie amateur moderne : même après plusieurs années de traitement et après avoir acquis une excellente maitrise, il est primordial de continuer à s’améliorer et ne pas se satisfaire du niveau de qualité des images que l’on obtient (fût-il excellent). En ce sens, l’inspiration que l’on peut trouver auprès d’autres astrophotographes est essentielle pour continuer à progresser et obtenir des résultats toujours plus qualitatifs.
Bref, une image exceptionnelle d’un point de vue purement technique, mais pas seulement : le cadrage, la composition et l’équilibre d’ensemble font que cette photo « accroche » l’œil immédiatement, notamment avec le très subtil jeu de contraste et de luminosité entre les deux objets.
Signalons par ailleurs le travail remarquable réalisé par Mathieu pour révéler les détails les plus fins possibles au sein de la nébuleuse NGC 40 (image « crop » ci-contre) : la finesse des structures est tout simplement stupéfiante, en particulier pour un instrument de ce diamètre ; et le résultat fait plus que soutenir la comparaison avec certains clichés obtenus avec des instruments professionnels de diamètre beaucoup plus important…
Bien sûr, on flirte ici avec la création d’artefacts, mais cela reste bien maitrisé et crédible lorsque l’on effectue la comparaison avec les détails obtenus sur des images professionnelles.
On notera également la très bonne mise en évidence du halo externe de la nébuleuse évoquée ci-dessus…
Bien sûr, comme souvent, une balade dans la « full » est indispensable pour apprécier pleinement l’ensemble du travail réalisé ainsi que les plus fins détails sur les objets !
Mathieu photographie le ciel profond depuis 2015. Pour ce passionné de musique, la dimension artistique de l’astrophoto tient un rôle central, comme le démontre notamment la richesse des palettes de couleurs de ses images.
Mais Mathieu est tout aussi intéressé par la technique instrumentale. Il est d’ailleurs un membre actif de l’association Repères Astro (60) et responsable du matériel de l’observatoire qui comprend notamment un télescope de 600mm. Il partage dans ce cadre sa passion avec le public et en tant qu’animateur de stages « Etoiles » de l’AFA.
Observant depuis Amiens et disposant d’un setup à poste fixe dans son jardin, il peut consacrer des temps de pose conséquents à chacune de ses images ; ce qui reste un élément déterminant dans la réussite d’images de qualité.
Renouvelant fréquemment son matériel et faisant constamment progresser son setup, Mathieu « enchaine » depuis plusieurs années les très belles réalisations. Sa parfaite maîtrise technique et sa grande sensibilité artistique en font aujourd’hui sans conteste l’un des astrophotographes français les plus talentueux !
Une visite régulière de son site internet est incontournable pour tout amateur de belles images. Signalons d’ailleurs que celui-ci s’étoffe progressivement avec, outre ses images, de nombreux articles consacrés au traitement d’image et à la présentation des objets des principaux catalogues du ciel… et notamment le catalogue Caldwell, où figure la nébuleuse NGC 40 !
Date : 15 – 19 avril 2023
Lieu : Amiens (France)
Optique : Takahashi TOA-130NS
Monture : Skywatcher EQ6-R Pro
Caméra : ZWO ASI 2600 MM Pro
Pilotage : N.I.N.A
Échantillonnage : 0,78 »/px
Filtres : Antlia 36mm (3.5 nm)
Ha : 285 x 300s (bin1)
OIII : 139 x 300s (bin1)
L : 120 x 120s (bin1)
R : 33 x 120s (bin1)
G : 31x 120s (bin1)
B : 32 x 120s (bin1)
Temps total : 41h54
Traitement : Pixinsight & Photoshop
Les Photons d’Or récompensent chaque mois une image particulièrement remarquable réalisée par un amateur… n’hésitez pas à proposer vos images !
Si l’espace commentaires n’est pas accessible, consultez le guide pratique pour y remédier !
L’image du mois Septembre 2025 La nébuleuse de la Tulipe (SH2-101) et l’onde de choc du trou noir Cygnus X-1, par Cyril RICHARD (et Philippe BERNHARD également au traitement). Chaque mois, le Photon d’Or vient récompenser une image qui, par