Amélioration du setup (3) : nouvelle caméra et rotateur de champ
Une nouvelle caméra et un nouveau train optique intégrant un rotateur de champ… le setup est désormais quasi-totalement automatisé pour les séances d’acquisition !
Certains objets du ciel sont tellement connus et populaires qu’ils sont devenus des emblèmes de leur catégorie, et parfois même – avec le temps – des icones de l’astronomie en général. Le genre d’objets pour lesquels il est inconcevable de consulter un livre ou un documentaire d’astronomie sans qu’ils ne soient représentés au moins une fois… C’est le cas d’Orion pour les nébuleuses, des Pléiades pour les amas, ou encore de Saturne pour les objets du système solaire.
En ce qui concerne les galaxies, on trouvera bien sûr parmi les figures iconiques la galaxie d’Andromède, M51… et M104, la célébrissime galaxie dite du « Sombrero ». Et même parmi le grand public, à défaut de connaître avec exactitude son nom, la forme évocatrice de cette galaxie, semblant flotter dans l’espace, ne ne peut manquer de marquer les yeux et les mémoires !
Située à une distance d’environ 30 millions d’années-lumière dans la constellation de la Vierge, cette galaxie se présente à nous quasiment par la tranche. Sa forme circulaire presque parfaite se devine derrière une épaisse bande de poussières qui masque une grande partie de la lumière de la galaxie ; ce qui accentue encore plus la finesse de son profil. Si l’on ajoute également la grande homogénéité de sa structure, sa symétrie quasi-idéale, ainsi que le contraste saisissant entre son bulbe et sa ceinture de poussières, on comprend aisément pourquoi cette galaxie est la favorite de bons nombre d’astronomes, amateurs comme professionnels…
On aurait cependant tort de résumer la galaxie M104 à un simple « canon de beauté ».
A l’instar de l’actrice Hedy Lamaar, élue plus belle femme du monde dans les années 1940 et dont la plastique a totalement éclipsé les innovations techniques qu’elle a développées en parallèle de sa carrière (notamment un système de transmission secret de guidage des torpilles, reposant sur un « étalement de spectre par saut de fréquence » dont le principe est aujourd’hui utilisé dans les systèmes de WIFI, de téléphonie mobile ou de GPS !), la beauté envoutante de M104 fait souvent oublier que cette galaxie a joué un rôle important et historique dans la quête d’une meilleure compréhension du Cosmos !
Et pourtant…
Au début du XXe siècle, les astronomes se disputaient sur la nature des galaxies qu’ils observaient. Pour beaucoup, les galaxies (alors appelées « nébuleuses galactiques« ) étaient simplement des nébuleuses d’un genre particulier et faisant partie de notre galaxie. Pour les autres, il s’agissait de galaxies similaires à la Voie Lactée, situées à des distances considérables.
A cette époque, la galaxie du Sombrero était plutôt considérée comme une nébuleuse faisant partie de notre propre Voie Lactée ; les observateurs interprétant la forme globale de l’objet et notamment la bande de poussières comme les indices d’un système planétaire en formation (similaire à ce qu’on peut observer aujourd’hui autour de certaines étoiles, telles que Beta Pictoris).
L’astronome américain Vesto Slipher a pu démontrer en 1912, par l’étude du décalage vers le rouge des raies spectrales de la galaxie M104, que celle-ci possédait une vitesse de récession beaucoup trop importante pour que cette hypothèse soit possible.
M104 a ainsi été la première galaxie pour laquelle un fort décalage vers le rouge des raies spectales (« redshift ») a été observé, correspondant à une vitesse d’éloignement de plus de 1000km/s.
Sur la base notamment des travaux de Slipher (mais aussi à partir de la relation découverte par Henrietta Leavitt entre la luminosité des étoiles variables Céphéides et leur période de variation), Edwin Hubble pût, une vingtaine d’années plus tard, établir la loi de correspondance entre la distance des galaxies et leur vitesse d’éloignement.
La galaxie du Sombrero a ainsi fourni non seulement la première preuve indiscutable du caractère extragalactique des galaxies, mais également de l’expansion de l’Univers dans son ensemble !
Mais M104 ne se résume pas seulement à ces aspects historiques, et constitue aujourd’hui un objet d’étude particulièrement intéressant pour les astronomes ; et qui recèle encore quelques mystères…
L’un des principaux est le nombre très élevé d’amas globulaires dans le halo de la galaxie, qui oscille entre 1200 et 2000 selon les études ; un nombre dix fois supérieur par exemple à celui de notre propre galaxie.
La raison de ce nombre élevé d’amas globulaire n’est pas encore connue avec certitude, mais les astronomes soupçonnent l’existence d’une corrélation avec la présence d’un bulbe galactique important, ou d’une collision passée avec une autre galaxie.
A noter qu’un défi pour astronomes amateurs peut être de mettre en évidence le plus d’amas globulaires possibles autour de M104 (un grand nombre est visible sur l’image présentée ici).
La galaxie du Sombrero constitue également une cible de choix pour l’étude de la formation et de la dynamique des bandes de poussières ; l’une de ses caractéristiques les plus remarquables.
Observée en rayonnement infrarouge, la galaxie change en effet radicalement de physionomie et on s’aperçoit que les poussières forment un véritable anneaux autour du disque de la galaxie, tandis que le bulbe est beaucoup plus important qu’en lumière visible.
Ces observations, complétées par d’autres (en radioastronomie notamment) sont essentielles pour permettre aux astronomes de mieux comprendre la répartition du gaz et des poussières dans la galaxie, ainsi que les dynamiques internes de celle-ci.
M104 est par ailleurs une galaxie très massive et très dense : dans un diamètre de 50 000 années-lumière (la moitié de notre galaxie), elle renferme entre 800 et 1000 milliards de masses solaires (soit 4 à 5 fois plus que la Voie Lactée) ! Sans surprise donc, elle renferme en son centre un trou noir supermassif, dont la masse est estimée jusqu’à 1 milliard de masses solaires (soit 250 fois la masse du trou noir au centre de notre galaxie !).
Ces différents résultats cumulés permettent de lever le voile sur un autre mystère : la classification de cette galaxie.
La structure révélée en infrarouge a permis de mettre en évidence plusieurs points : d’une part, la taille de M104 est sous-estimée, le bulbe étant bien plus étendu et comprenant beaucoup plus d’étoiles que ce que l’image en lumière visible permet de voir. D’autre part, il n’y a aucun bras spiraux clairement visible dans la structure interne de la galaxie (ou du moins les poussières en sont totalement absentes…). Enfin, le disque présente une légère déformation ; preuve d’une collision passée avec une ou plusieurs autres galaxies.
Ces éléments, associés à la présence d’un grand nombres d’amas globulaires dans le halo, vont donc aujourd’hui plutôt dans le sens du classement de M104 comme galaxie elliptique englobant un anneau de poussières : une configuration rarissime… qui reste encore sujette à débat. Il n’est pas rare, en effet, de voir cette galaxie classée comme une spirale (Atlas de Gérard de Vaucouleurs, où cette galaxie est présentée comme l’archétype du type SA(a) sp), ou encore parmi les galaxies lenticulaires (A. Boselli, A la découverte des galaxies, Ellipses, 2007, p. 92) !
On le voit, la galaxie du Sombrero est un objet fascinant à bien des égards, et il serait dommage de s’arrêter à sa seule esthétique ! 🙂
Non contente de réaliser des images parmi les meilleures du monde, la team Ciel Austral cherche sans arrêt à continuer de progresser, de s’améliorer… et même d’innover !
Avec l’arrivée de Mike Selby, l’équipe peut désormais exploiter un télescope d’un mètre (!) de diamètre, toujours sous le ciel pur du Chili… en attendant l’arrivée prochaine d’un nouveau télescope de 450mm de diamètre, réalisé sur mesure en Italie, et capable de passer de f/4 à f/8 en quelques minutes sans réglages optiques.
Pour ceux qui seraient tentés de penser à un certain « relâchement » au vu du temps de pose de l’image (« seulement » 16h , alors que Ciel Austral nous habitue à des temps de pose considérables sur chaque image), une précision s’impose : la caméra a été changée ! Exit la G4-16000, voici la nouvelle C4-16000, que la team a contribué à développer et améliorer avec Moravian. Ce passage au CMOS avec un capteur au rendement quantique très élevé et au faible bruit de lecture, permet d’obtenir en quelques minutes un signal incroyable : d’après la team, le temps de pose peut être divisé par 4 (!) pour obtenir le même signal qu’avec l’ancienne caméra. Cela laisse imaginer ce qu’il va être possible d’obtenir sur des nébuleuses faibles en SHO, en sortie d’un télescope de ce diamètre !
Cette image de M104 est la première réalisée par l’équipe avec ce nouveau setup. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le résultat est à la hauteur des moyens mis en œuvre : encore une fois, la team Ciel Austral nous livre ici une image époustouflante, et superlative à tous points de vue. Le diamètre utilisé et la sensibilité de la nouvelle caméra permettent d’utiliser des poses courtes, plus adaptées pour limiter les effets de la turbulence (assez moyenne pour le site lors de ces acquisitions) et gagner en finesse sur les détails de la galaxie. Les détails dans la bande de poussière sont tout simplement stupéfiants. Il va sans dire que l’image se doit d’être consultée en version « full » afin de l’apprécier pleinement.
Au final, une image qui rend pleinement justice à toute la splendeur de la galaxie du Sombrero !
Est-il besoin de présenter la « team » Ciel Austral ?
Composée de 7 passionnés disposant chacun de compétences propres (de gauche à droite sur la photo : Mike Selby, qui a intégré l’équipe récemment, Jean-Claude Canonne, Didier Chaplain, Laurent Bourgon, Philippe Bernhard, Nicolas Outters et Georges Chassaigne), cette équipe repousse les limites de l’astrophotographie en cumulant sur chacune de ses images des temps de pose colossaux et à peine concevables pour l’amateur moyen ; avec notamment un record à 1060h (!) de pose pour une mosaïque du Grand Nuage de Magellan !
Ciel Austral a installé son setup en remote sous le ciel magique du Chili, à l’observatoire El Sauce.
Le matériel utilisé est toujours de très grande qualité.
Cette image de M104 est la première réalisée avec le télescope de 1m de Mike Selby et la nouvelle caméra C4-16000 ; en attendant l’installation d’un autre télescope de 450mm de diamètre conçu sur mesure !
Résumer Ciel Austral au temps de pose de ses images ou au matériel employé n’aurait toutefois aucun sens : il s’agit uniquement en l’occurrence des moyens consacrés à une quête continuelle de perfection et de (re)découverte des beautés de l’Univers.
Le meilleur moyen de s’en convaincre est encore de parcourir leur galerie, où chaque image est en soi un petit bijou qui, au-delà de l’aspect purement esthétique, permet de se sentir plus proche des merveilles du Cosmos…
Date : 8/20 avril 2021
Lieu : Observatoire El Sauce (Chili)
Optique : CDK 1000 – f/6 – Corr. CDK 4″
Monture : PW1000
Caméra : Moravian C4-16000
Filtres : Astrodon (Ha 3nm)
L : 125 x 180s (bin1)
R : 50 x 180s (bin1)
G : 50 x 180s (bin1)
B : 49 x 180s (bin1)
Ha : 32 x 300s (bin1)
Total : 16h22
Les Photons d’Or récompensent chaque mois une image particulièrement remarquable réalisée par un amateur… n’hésitez pas à proposer vos images !
Une nouvelle caméra et un nouveau train optique intégrant un rotateur de champ… le setup est désormais quasi-totalement automatisé pour les séances d’acquisition !
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Hubert Reeves nous a quitté le 13 octobre 2023. Parti rejoindre les étoiles qu’il aimait tant, il laisse les amoureux du ciel ici-bas emplis d’une infinie tristesse. Hommage à celui qui aura été une source d’inspiration pour beaucoup d’astronomes amateurs.