
Photons d’Or – Mai 2023
L’image du mois Mai 2023 Les galaxies NGC 4725, NGC 4747 & NGC 4712, par Guillaume GRUNTZ. Parmi les belles galaxies du printemps, NGC 4725 n’est pas l’une des plus populaires… et l’on se demande vraiment pourquoi ! Elle n’a
Ce mois-ci, on ne fait pas dans la demie-mesure, avec encore une fois une image exceptionnelle de la Team Strottner-Drechsler (« St-Dr » pour les intimes) ! Et pour poser tout de suite le niveau de dinguerie absolue auquel on se situe, n’y allons pas par quatre chemins : cette image est tout simplement l’une des plus belles et des plus intéressantes jamais réalisées par des astronomes amateurs ! La preuve, elle m’a obligé à utiliser le mot « dinguerie » dans un article, c’est tout dire ! 🙂
Pour ceux dont le cerveau est encore en état de marche après avoir vu cette image et qui ne se sont pas écroulés par terre pris de convulsions extatiques, on peut bien sûr en dire quelques mots. Car cette image n’est pas seulement magnifique, mais présente également un intérêt scientifique notable à plusieurs niveaux : étoiles variables, compréhension de la formation de ces enveloppes de gaz avec un système binaire… et même un peu « d’archéoastronomie » !
Mais reprenons nos esprit et commençons par le commencement : que voit-on sur cette image ?
Tout a commencé en 2019, lorsque Marcel et Xavier repèrent sur un survey datant des années 1980, depuis numérisé, une faible trace de nébulosité située à proximité d’une petite étoile variable a priori anecdotique, YY Hya.
Après une étude plus approfondie, notamment dans l’ultraviolet, il s’est avéré qu’il s’agit en réalité d’un système double, composé d’une naine blanche très chaude et dense (résidu d’une étoile ayant par le passé expulsé ses couches externes) et d’une étoile naine de type K (naine orange, beaucoup moins massive et chaude). Ces deux étoiles orbitent l’une autour de l’autre à une distance rapprochée et en quelques heures seulement.
Ce genre de couples stellaires avec une naine blanche peut générer une grande variété de phénomènes, y compris la transformation en nova ou en supernova de type I.
Ces analyses ont également permis de repérer d’autres zones de nébulosités symétriques autour de YY Hya, ce qui a conforté Marcel et Xavier dans l’intérêt de creuser plus avant. Ceux-ci ont alors contacté l’astronome amateur Maicon Germiniani, situé au Brésil, qui a réalisé une vingtaine d’heures de poses sur cette zone, mettant ainsi en évidence une structure bien plus étendue que ce qu’il était possible de suspecter sur les images des surveys.
Forts de ces éléments, Marcel et Xavier ont ensuite contacté des astronomes professionnels, et notamment Stefan Kimeswenger de l’Institut d’astrophysique et de physique des particules de l’Université d’Innsbruck. Les résultats de ces recherches ont donné lieu à la publication d’un article dans la très sérieuse revue Astronomy & Astrophysics en décembre 2021.
Cette étude met en évidence plusieurs points intéressants, à commencer par la nature exacte du couple stellaire au centre de la nébulosité, dont la période orbitale est estimée à 8 heures.
YY Hya n’est ainsi pas une variable de type RR Lyrae (étoiles pulsantes), comme on le pensait depuis sa découverte en 1936, mais un système variable résultant des interactions entre une étoile sur la branche principale ou en fin de vie (ici la naine orange de type K) et un compagnon bien plus chaud (ici la naine blanche), qui l’irradie puissamment.
Il en résulte un phénomène assez remarquable : l’étoile orbitant autour de la naine blanche présente, sur sa face opposée, une activité standard, tandis que la face orientée vers son compagnon est fortement irradiée et chauffée !
Il s’agit d’un système binaire « pré-cataclysmique », n’ayant pas encore atteint le stade où la naine blanche arrache une partie de la matière de son compagnon avec la constitution d’un disque d’accrétion en orbite instable, qui finit par s’effondrer sur l’étoile plus massive, entrainant ainsi des explosions successives de « nova naine » ou, dans certains cas, une supernova de type I qui détruit totalement l’étoile.
Outre le fait qu’il s’agit d’un cas d’étude supplémentaire pour ces variables dites de type « BE UMa », sa disqualification en tant que variable RR Lyrae est en soi importante, puisque ces dernières sont utilisées comme « chandelles standards » (comme les céphéides) permettant de calculer les distances. Or, dans le calcul des distances astronomiques, chaque étape de détermination des distances (supernovae, redshift, étoiles variables, parallaxe…) est fortement liée à la précision de l’étalonnage de la référence inférieure ; les erreurs se répercutant en cascade avec des conséquences sur la précision de la détermination de variables importantes, comme la constante de Hubble par exemple. L’affinage de toutes les étapes de calibration est donc importante pour obtenir des résultats les plus fiables possibles. Des découvertes de ce genre sont donc autant de petites pierres qui permettent de bâtir un édifice cosmologique solide !
Mais revenons à YY Hya…
L’étude conclut, sur la base des observations réalisées, qu’il n’y a actuellement pas de disque d’accrétion autour de la naine blanche, malgré une séparation très faible entre les deux étoiles ; ce qui constitue déjà un cas assez rare au regard de quelques 800 systèmes similaires catalogués.
Cette étude nous renseigne également sur l’origine de la nébuleuse observée : compte-tenu de la faible distance des étoiles, il est probable que les couches externes projetées dans l’espace environnant ne soient pas issues de la seule étoile en fin de vie ayant évoluée sous la forme de naine blanche, mais plutôt qu’elles soient issues d’une « enveloppe de gaz commune » et circumstellaire au système binaire.
En effet, au contraire des étoiles en fin de vie au sein d’un système binaire plus distant pour lesquelles l’expulsion des couches externes est affectée par la présence du compagnon, dans les systèmes si proches, les couches externes gonflées au stade de la géante rouge se fondent alors dans une enveloppe commune autour des deux étoiles.
La phase d’enveloppe commune débute lorsqu’une des étoiles du système binaire devient une géante rouge et remplit son lobe de Roche. Un transfert de masse quitte le cœur de la géante rouge et plonge son compagnon, relativement moins dense, au sein d’une enveloppe commune. Les deux composantes stellaires sont alors immergées dans une enveloppe circumstellaire de gaz qui leur est commune et au sein de laquelle elles poursuivent leur mouvement orbital. Le système en résultant est désigné dans ce cas comme une « binaire postérieure à la phase d’enveloppe commune« , ce qui est le cas de YY HYa.
Le terme « postérieur » ne doit pas être mal interprété : il ne signifie pas que le système binaire s’est créé après la phase d’enveloppe commune, mais plutôt qu’il a « survécut » à cette phase ! En effet, le sort le plus probable d’un système avec de tels transferts de masse est un lent rapprochement en spiral des deux noyaux des étoiles menant à la création d’un seul objet compact et d’un évènement plus cataclysmique encore…
Pourtant, ici encore le système YY Hya semble constituer une exception, avec des masses d’étoiles nettement supérieures aux systèmes similaires recensés ; ce qui pourrait expliquer que, bien que la première expulsion ait eu lieu à une époque estimée à 500 000 ans, le système ne soit pas encore entré dans un stade « cataclysmique ».
Si cette nature est bien confirmée par la suite, YY HYa serait alors la première nébuleuse planétaire résultant d’une binaire postérieure à la phase d’enveloppe commune observée à ce jour !
Toujours est-il qu’une importante expulsion de matière a formé l’immense enveloppe de gaz qui délimite aujourd’hui la partie centrale de la nébuleuse, entourée d’une onde de choc parfaitement visible.
Cette composante principale s’étend sur un diamètre d’environ 15,6 années-lumière ; soit près de 4 fois la distance qui sépare le Soleil de sa plus proche voisine, Proxima du Centaure !
Certaines composantes, qui constituent les deux « lobes » symétriques au nord-est et au sud-ouest de YY HYa, sont quant à eux distants d’environ 40 années-lumière, ce qui laisse à penser qu’ils auraient été générés lors d’une expulsion plus ancienne.
Toutefois, certains modèles suggèrent au contraire que ces lobes symétriques seraient le résultat d’une expulsion légèrement antérieure mais pas significative au regard de l’âge global de la nébuleuse. Ces lobes pourraient dans ce cas être le résultat final du choc engendré par un jet bipolaire du système binaire.
A noter que la masse totale de la nébuleuse est estimée à une masse solaire, ce qui est considérable (supérieure même à la masse de l’étoile de type K en orbite autour de la naine blanche ; la masse de l’étoile initiale étant estimée à 4 masses solaires).
Compte-tenu de sa latitude galactique élevée, et de la faible présence de nuages de gaz aux alentours, l’évolution de cette nébuleuse a été très peu perturbée par des influences extérieures et a donc pu conserver pour l’essentiel sa forme initiale ; ce qui renforce encore son intérêt pour les astronomes afin d’étudier précisément les mécanismes à l’œuvre lors de la création et de l’évolution de telles structures.
Nul doute donc que nous entendrons encore parler de cet objet dans les années à venir dans différentes publications !
Petite cerise sur cet énorme gâteau : cette image relance le débat sur une nova historique mentionnée dans certains écrits chinois et coréens en 1065 et située dans la constellation de l’Hydre… Bien qu’il ne s’agisse pas de la nova historiquement la plus documentée, plusieurs hypothèses ont été émises par le passé concernant cet évènement : s’agissait-il réellement d’une nova, ou plutôt d’une comète, voire d’une simple conjonction planétaire ?
Toujours est-il que les astronomes n’avaient jusqu’ici trouvé aucune trace d’un résidu de supernova dans la zone concernée et dont l’âge est compatible avec la date d’observation.
La découverte de cette nébuleuse et de ce système stellaire chaotique dans cette constellation invite donc à se poser la question : et si cette découverte scientifique se doublait d’une découverte « archéoastronomique » ? YY Hya pourrait-elle être à l’origine de la nova d’août/septembre 1605 ?
Bien que fortement spéculative (en raison notamment de la difficulté de localiser précisément le phénomène observé à l’époque, peu documenté, et des mesures réalisées pour l’étude de YY Hya), cette hypothèse n’est pas à écarter totalement.
Une seule certitude : si le système YY Hya est à l’origine de la nova observée en 1605, la nébuleuse observée aujourd’hui ne peut pas résulter d’une explosion ayant eu lieu il y a 1000 ans seulement : les vitesses d’expansion de l’enveloppe de gaz seraient très supérieures à celles mesurées, de près d’un ordre de grandeur.
Toutefois, il est possible d’imaginer que, même en l’absence de disque d’accrétion, certaines composantes de l’enveloppe, émises à faible vitesse, puissent retomber sur la naine blanche et générer une flambée temporaire sous la forme d’une « nova naine » suffisamment lumineuse pour apparaître dans le ciel comme un astre impossible à confondre avec une étoile voisine ou une planète…
Une possibilité qui, bien qu’hypothétique, ajoute encore un peu de magie et de mystère à cet objet !
Outre son intérêt intrinsèque sur l’objet, cette image cumule les superlatifs également en terme de réalisation « pratique ».
C’est en vérité à une tâche titanesque à laquelle Marcel et Xavier se sont attelés : location de 3 grands télescopes dans l’hémisphère sud (notamment les 500mm de Chilescope qui a également soutenu le projet – merci à Sergey !), avec plus de 100 nuits d’observation étalées sur un an, pour un temps de pose total de 360 heures !
L’image finale est une mosaïque de 9 panneaux, réalisée en RGB + Ha et OIII.
L’essentiel du signal étant présent sur la couche Ha, c’est cette dernière qui a été utilisée comme luminance. A noter que la réalisation de la seule couche Ha à elle seule a nécessité 296 heures de poses, sous la forme de 890 (!) poses de 1200s (soit 50h par panneau). 56 heures ont été consacrées aux couches RGB, et « seulement » 7 heures pour la couche OIII.
L’ajout de cette dernière a permis de magnifiquement mettre en évidence l’autre objet St-Dr de l’image, à savoir la petite nébuleuse St-Dr 47, en bas de l’image.
Un objet dont la découverte ou même l’observation suffirait à faire le bonheur de n’importe quel astronome amateur, mais qui semble ici presque anecdotique au regard de son énorme voisin !
On notera également la présence de nébulosités Ha de forme assez peu commune autour de l’étoile HD82180 (en bas à gauche).
Sur cette image, on reconnait parfaitement la « patte » de Marcel Drechsler et sa maestria du traitement qui font de lui l’un des astrophotographes les plus réputés au monde !
Le rendu est en tout point superlatif, en particulier les couleurs et la sensation « d’explosion » sur la couche rouge. La mise en valeur du signal est juste incroyable, en particulier sur un objet où il n’y a (forcément) aucune autre référence par ailleurs.
L’attention apportée à chaque petit détail de l’image est exemplaire, alors qu’il aurait été facile de se focaliser sur la nébuleuse au détriment d’autres petits objets… mais ici pas du tout : regardez l’excellent rendu sur la galaxie NGC 2865 (ci-contre) ou encore l’aspect ciselé des deux amas ouverts en haut de l’image.
A noter que, lors du traitement, Marcel a apporté une attention particulière à obtenir une image la plus fidèle possible à la réalité du signal : la mise en valeur des détails n’a en aucune manière été déléguée à une intervention immodérée de l’IA (avec Topaz notamment) et les techniques « destructrices » ont été évitées lorsque cela était possible (recours au starless notamment).
Au final, on ne peut que s’émerveiller de la capacité du tandem Strottner-Drechsler à découvrir de nouveaux objets si intéressants que leur intérêt scientifique parvient (presque) à faire passer la beauté formelle de leurs images au second plan… et ce n’est pas peu dire quand on voit une telle image !!
Bien qu’on leur souhaite à chaque fois de faire encore mieux à la prochaine, on ne va pas se mentir : comment serait-ce possible ? En terme d’investissement humain, financier ou de temps passé, cette photo est « l’image d’une vie », un Everest qu’on peut juste espérer gravir à nouveau une seconde fois en passant par un sentier différent…Alors, pour celle-là exceptionnellement, on leur souhaite simplement (mais déjà avec ambition), de juste faire aussi bien la prochaine fois et de continuer à nous faire rêver !
Le désormais célèbre tandem franco-allemand n’en est pas à sa première découverte, puisqu’ils en totalisent à eux deux plus de 100, dont une vingtaine de nébuleuses planétaires confirmées et une autre quinzaine « probables ».
En dehors de leur collaboration, chacun d’entre eux est également découvreur de nombreux objets (une centaine au total, dont une vingtaine de nébuleuses planétaires confirmées). Une moisson particulièrement impressionnante qui fait de cette collaboration l’une des plus prolifiques parmi les amateurs du monde entier.
Pour réaliser ces découvertes, Marcel et Xavier « épluchent » avec rigueur et minutie les atlas photographiques digitalisés du ciel (surveys) librement consultables en ligne. Une telle méthode permet d’analyser plus de zones du ciel qu’en se limitant à ses propres images déjà réalisées. De longues heures sont ainsi nécessaires pour déceler sur les images la trace d’un objet non répertorié, recouper les données avec d’autres surveys, essayer d’identifier une naine blanche à proximité, etc.
Un travail de fourmi qui ne trouve le plus souvent son aboutissement que plusieurs mois plus tard, avec la confirmation de la nature de l’objet au moyen de la spectroscopie.
Date : juillet/novembre 2020
Lieu : Hirschegg – Autriche
Optique : Lacerta Newton 10″ (f4)
Monture : ASA DDM85
Caméra : Moravian G2-8300
Filtres : Baader
Ha : 890 x 1200s (bin1)
OIII : 15 x 1800s (bin1)
R : 224 x 300s (bin1)
G : 224 x 300s (bin1)
B : 224 x 300s (bin1)
Total : 360h
Les Photons d’Or récompensent chaque mois une image particulièrement remarquable réalisée par un amateur… n’hésitez pas à proposer vos images !
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