Amélioration du setup (3) : nouvelle caméra et rotateur de champ
Une nouvelle caméra et un nouveau train optique intégrant un rotateur de champ… le setup est désormais quasi-totalement automatisé pour les séances d’acquisition !
La nébuleuse de l’Aigle est l’un des grands classiques du ciel d’été : située dans la constellation du Serpent (à proximité du Sagittaire et de l’Ecu) en pleine voie lactée, elle est déjà très bien visible – sous un ciel bien noir – avec une simple paire de jumelles, à proximité d’autres objets remarquables (notamment les nébuleuses M17, M8 et M20…).
Sa prise de vue constitue une étape quasi-obligée pour n’importe quel amateur : les débutants apprécient sa grande taille et sa luminosité importante qui rendent les acquisitions aisées y compris avec un capteur couleur, tandis que les plus expérimentés peuvent cherchent à saisir l’ensemble du champ ou à obtenir une vue rapprochée sur la zone centrale, par exemple en narrowband comme dans l’image présentée ici.
Souvent appelée à tort « M16 » (qui désigne en réalité l’amas ouvert situé à proximité), la nébuleuse est cataloguée sous le numéro IC 4703. Cette confusion dans la dénomination conduit souvent à des indications contradictoires quant au nombre respectif d’étoiles de l’amas et de la nébuleuse, dans des proportions importantes.
L’amas lui-même ne contient qu’une centaine d’étoiles, tandis qu’on en dénombre plus de 8000 dans le nuage moléculaire environnant, avec beaucoup d’étoiles jeunes, bleues et chaudes. Ainsi, l’étoile la plus brillante de la nébuleuse, HD 168076, est environ 80 fois plus massive que le Soleil et une luminosité 1 million de fois plus intense.
La présence de l’amas M16, au sein de la nébuleuse, permet de mesurer avec une grande précision la distance de ces deux objets : d’après les dernières données du satellite GAIA, celle-ci s’élève à 5160 années-lumière. La taille réelle de la nébuleuse peut donc être calculée avec une bonne précision : celle-ci s’étend sur 90 années-lumière de long et 55 de large.
Malgré ces dimensions considérables, cette nébuleuse est célèbre avant tout pour sa petite zone centrale, où se situent les célèbres « Piliers de la création » (immortalisés par le télescope spatial Hubble une première fois en 1995, puis dans une version plus précise en 2014) qui offrent à la fois un magnifique panorama cosmique et une mise en abime vertigineuse sur l’évolution stellaire.
Les régions HII, c’est à dire de grands nuages composés essentiellement d’hydrogène comme la nébuleuse de l’Aigle, consistent de véritables « pouponnières » d’étoiles, qui se forment par l’effondrement du nuage de gaz en de multiples endroits. Lorsque ces étoiles jeunes et massives sont formées, leur rayonnement intense et très énergétique provoque deux effets majeurs : d’une part, il ionise le reste du nuage sur de grandes dimensions, et d’autre part il disperse par un mécanisme de « photo-évaporation » d’autres structures initialement plus compactes, tels que les piliers visibles au centre de la nébuleuse de l’Aigle.
Ces piliers, dont le plus important s’étend sur une longueur d’environ 4 années-lumière (soit la distance séparant le Soleil de l’étoile la plus proche, Proxima du Centaure), sont composés de nuages d’hydrogène moléculaire froids et de poussières qui sont ainsi lentement érodés par le rayonnement ultraviolet des jeunes étoiles environnantes.
D’une masse initiale estimée à 200 masses solaires, ces structures « s’évaporent » ainsi en perdant environ 70 masses solaires par million d’années. Ce perte de masse peut semble importante en comparaison du nombre d’étoiles visibles sur l’image de Hubble… mais l’image réalisée par le télescope spatial James Webb (JWST) dans le proche infrarouge et avec une résolution inégalée (à droite ci-dessus) permet de mieux comprendre ce phénomène. A cette longueur d’onde, les nuages froids cessent d’être opaques et l’on découvre alors la très grande quantité d’étoiles qui y sont dissimulées, dont certaines très brillantes qui étaient jusqu’alors totalement invisibles !
Ce très grand nombre d’étoiles nouvellement créées au sein des piliers explique pourquoi, à ce rythme, ces structures seront totalement dispersées d’ici 3 millions d’années seulement… un battement de cils à l’échelle du Cosmos !
S’il existe mille-et-une manières de photographier la nébuleuse de l’Aigle, réaliser une prise de vue en narrowband est certainement l’une des meilleurs manières de rendre hommage à la célèbre image du télescope Hubble !
C’est ce qu’a fait ici Brendan Kinch, au moyen d’un superbe setup dont la lunette FSQ-130 constitue la pièce maitresse, permettant de combiner un champ suffisamment important, une parfaite correction et un très bon signal (avec un capteur ASI-2600).
Cette image, réalisée en « pur SHO », a nécessité 12h de pose au total, soit 4h « seulement » pour chacune des couches : un temps d’acquisition relativement faible pour une image narrowband, mais aujourd’hui totalement réaliste – en particulier sur de tels objets assez lumineux – compte-tenu des performances incroyables des capteurs de dernière génération qui combinent un très bon rendement quantique et un très faible bruit.
Au niveau de la palette, Brendan a opté pour un mélange entre une palette Hubble classique et une palette Foraxx, très populaire depuis quelques années et qui permet, grâce à un mixage dynamique des couches (voir le tuto vidéo sur le sujet), d’obtenir des palettes plus contrastées et variées.
L’harmonie de la palette et la douceur du traitement permet de mettre en valeur l’ensemble du signal de la nébuleuse, avec des dégradés subtils de teintes dans de nombreuses zones périphériques, où le bleu est visible en arrière-plan, en transparence de zones plus rouges.
L’image présente un niveau de détails très satisfaisant au regard de l’échantillonnage utilisé, ainsi qu’une très bonne gestion du bruit.
Un autre point positif concerne les étoiles, dont Brendan n’a manifestement pas cherché à trop diminuer la présence (ce qui est une erreur de plus en plus répandue en raison de l’abus des process de starless et de réduction d’étoiles…).
Les couleurs des étoiles sont par ailleurs bien gérées, même si la réalisation de quelques poses en RGB permet souvent de leur redonner des couleurs plus naturelles.
Au final, une image très naturelle et équilibrée, qui constitue un très bon exemple de ce qu’il est possible d’obtenir assez simplement aujourd’hui sur des objets classiques du catalogue Messier, en conservant un temps de pose raisonnable !
Irlandais installé en Espagne, Brendan Kinch a débuté l’astronomie amateur sur le tard, mais s’est rapidement équipé d’un matériel performant : après un Meade 10″ et une FSQ106, son instrument de prédilection est désormais une FSQ130 ; un instrument récent mais presque déjà « mythique » dont Takahashi a arrêté la production après seulement quelques petites années de commercialisation…
Disposant aujourd’hui d’un observatoire personnel construit dans son jardin (qu’il peut contrôler à distance), Brendan ne compte plus les heures pour obtenir les données nécessaires à de bonnes images !
Son site personnel propose une description détaillée de son matériel et de son observatoire, ainsi que bien sûr l’ensemble de ses images, avec la possibilité intéressante de les consulter par ordre chronologique : une manière de mesurer les progrès accomplis… une visite fortement recommandée !
En complément de la présentation succincte ci-dessus, je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous le récit très intéressant de Brendan Kinch sur son parcours en astronomie !
« Beaucoup d’astronomes et d’astrophotographes vous diront qu’ils ont acheté leur premier télescope très jeunes. Pas moi, j’en ai bien peur – j’avais alors plus de 50 ans.
Ayant grandi dans une ville de taille moyenne en Irlande, le ciel nocturne n’est pas quelque chose qui ressort particulièrement des souvenirs de ma jeunesse. Cependant, ayant rejoint la marine marchande à 18 ans, j’ai rapidement pu contempler la beauté et de l’immensité du ciel au-dessus de nous. Imaginez un navire au milieu du Pacifique, sans pollution lumineuse et des étoiles s’étendant d’un horizon à l’autre. On ne pouvait que s’émerveiller, comme l’ont fait nos lointains ancêtres.
À cette époque, nous faisions le tour du monde en naviguant à l’aide des étoiles, d’un sextant et d’un chronomètre de marine. Le GPS n’existait pas au début des années 70… En tant que jeune navigateur, j’ai appris à connaître les étoiles et les planètes de manière très intime. Ils étaient littéralement mes guides.
Avance rapide jusqu’en 2005 environ : je vis maintenant à Murcie, en Espagne. Il m’a fallu quelques années avant de penser à acheter un télescope. Finalement, lorsque l’occasion s’est présentée, j’ai acheté un télescope Meade 10″ d’occasion pour mieux profiter de la vue nocturne vers le sud. Malheureusement, la pollution lumineuse est assez prononcée dans les trois autres directions.
Au bout d’un an, j’ai décidé de me lancer dans l’astrophotographie. Mais il était presque impossible pour un débutant de faire des images avec une monture altazimutale, un télescope à f/10 et une caméra couleur avec un TRES petit capteur (j’ai quand même essayé…).
Finalement, j’ai acheté une Takahashi FSQ-106 d’occasion en Angleterre et, quelques mois plus tard, une monture Takahashi EM200 (d’occasion également) au Portugal. Mon voyage dans l’astrophotographie pouvait commencer !
J’ai développé mon site web (KinchAstro.com) alors que j’améliorais mes compétences en imagerie. Les progrès réalisés au fil des ans sont assez évidents. J’aime y laisser mes vieilles images, pour que d’autres puissent également s’en amuser. Nous sommes tous nuls au départ, mais avec de la patience et de la persévérance, nous nous améliorons lentement. C’était un grand défi (nouvel équipement, nouveau site web, nouveau logiciel (SGP et PixInsight)), mais j’en ai apprécié chaque minute.
Pour mon dernier matériel, je suis resté fidèle à Takahashi : j’utilise désormais une FSQ-130 (j’adore cette lunette !), initialement installée sur une monture EM400 et désormais sur une JTW Trident P75.
En terme d’équipement, mes objectifs sont désormais remplis… mais malheureusement pas en terme d’emplacement (entre la pollution lumineuse et la forte humidité au bord de la mer, je suis loin d’être dans un endroit idéal – mais ma femme ne changera plus d’avis maintenant !). J’ai toutefois continué à améliorer et à moderniser mon observatoire au cours des dernières années. Terminées les longues nuits passées dehors : j’ai maintenant une installation entièrement contrôlable à distance au fond de mon jardin (voir les photos sur mon site web).
Avec la pollution lumineuse présente ici, dans une zone semi-urbaine, l’imagerie à bande étroite est préférable à l’imagerie RGB ; et grâce à des filtres Astrodon très sélectifs (3nm), je peux obtenir malgré tout un bon résultat final en y passant du temps. Dans cette optique, j’ai également troquée ma caméra CCD pour un nouveau capteur CMOS.
Etant à la retraite, je ne suis pas pressé….. s’il faut deux semaines pour terminer une image (comme c’est souvent le cas), cela me convient ! »
Date : 2 & 5 juin 2024
Lieu : Région de Murcia (Espagne)
Optique : Takahashi FSQ 130 (f/3,5)
Monture : JTW Trident P75
Caméra : ASI 2600 MM-Pro
Ha 3nm : 24 x 600s (bin1)
OIII 3nm : 24 x 600s (bin1)
SII 3nm : 24 x 600s (bin1)
Total : 12h
Logiciels : SGP, APP, Pixinsight
Les Photons d’Or récompensent chaque mois une image particulièrement remarquable réalisée par un amateur… n’hésitez pas à proposer vos images !
Une nouvelle caméra et un nouveau train optique intégrant un rotateur de champ… le setup est désormais quasi-totalement automatisé pour les séances d’acquisition !
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Hubert Reeves nous a quitté le 13 octobre 2023. Parti rejoindre les étoiles qu’il aimait tant, il laisse les amoureux du ciel ici-bas emplis d’une infinie tristesse. Hommage à celui qui aura été une source d’inspiration pour beaucoup d’astronomes amateurs.