Amélioration du setup (3) : nouvelle caméra et rotateur de champ
Une nouvelle caméra et un nouveau train optique intégrant un rotateur de champ… le setup est désormais quasi-totalement automatisé pour les séances d’acquisition !
Une « tête de cheval » pour l’image du mois de juin ? Oui, mais pas celle à laquelle vous pensez ! Bien moins connue que la célébrissime nébuleuse Barnard 33, dans la constellation d’Orion et visible plutôt en hiver, la nébuleuse de la « tête de cheval bleue » (IC 4592) est quant à elle située à 400 années-lumière dans la constellation du Scorpion et est bien visible en ce moment dès le coucher du Soleil.
Au demeurant, ces deux « têtes de cheval » n’ont, en dehors de leur nom, que peu de points communs : Barnard 33 est une nébuleuse obscure, visible uniquement en « ombre » du fait de la présence en arrière-plan d’une nébuleuse en émission (IC 434), et de petite taille (8’x6′, soit une taille réelle de 3,5 années-lumière) ; tandis que IC 4592 est une nébuleuse par réflexion s’étendant sur une quarantaine d’années-lumière, pour une taille apparente de 4° (en longueur), soit 8 fois la taille apparente du disque lunaire !
Cette nébuleuse se situe à proximité immédiate du nuage de Rho Ophiuci, qui est probablement l’un des spectacles les plus impressionnants du ciel… du moins en photographie !
Situé également à une distance d’environ 400 années-lumière et s’étendant sur 25 degrés carrés (6,5° x 4,5°) pour sa seule partie principale constituée de nébuleuses en émissions et en réflexion, ce complexe contient également des bandes de poussières sombres très étendues (sur plus de 10°), comme on peut le voir sur l’image ci-contre.
Il s’agit de l’une des l’une des zones actives de formation d’étoiles les plus proches de la Terre (en particulier dans les bandes sombres, où l’on dénombre plus de 400 étoiles, proto-étoiles et naines brunes) et est donc étudiée de près par les astronomes.
Le rayonnement de certaines jeunes étoiles massives ionisent les nuages de gaz d’hydrogènes environnants, provoquant le rayonnement « rouge » caractéristique de la raie Ha (en particulier autour de l’étoile Alniyat). La supergéante rouge Antarès, située quelques 100 années-lumière plus loin, illumine pour sa part les nuages de poussières de sa couleur rouge-orangée. Quelques belles nébulosités bleutés (IC 4604, IC 4601 et bien sûr IC 4592) complètent cette incroyable palette de couleurs. Les bandes sombres de poussières, enfin, confèrent à l’ensemble une profondeur et un contraste remarquable ; rehaussée par la proximité visuelle de la Voie Lactée et de l’amas globulaire M4 en arrière-plan…
La « nébuleuse de la tête de cheval bleue », proche visuellement du complexe Rho Ophiuci, apporte un superbe contrepoint à la palette de couleurs chaudes de ce dernier… Mais pourquoi un tel rayonnement « bleu » ?
Ce phénomène n’est pas lié à l’ionisation d’un nuage de gaz, comme c’est le cas pour les nébuleuses par émission, mais est provoqué par la diffusion de la lumière par un nuage de poussières. En raison soit d’un rayonnement insuffisamment énergétique des étoiles proches, soit de l’absence d’hydrogène en quantité suffisante dans les nuages environnants, le phénomène d’émission ne peut se produire. Toutefois, le flux lumineux des étoiles proches est suffisamment important pour qu’une partie significative de celui-ci soit réfléchi par les poussières, révélant ainsi leur présence.
Pour comprendre ce phénomène, il faut à la fois s’intéresser à la manière dont la lumière est diffusée et à la nature de la poussière interstellaire.
Rappelons que la « diffusion » est le phénomène par lequel un rayonnement (comme la lumière) est dévié dans diverses directions à la suite d’une interaction avec un autre objet. L’un des critères essentiels pour décrire la diffusion (dans le cas qui nous intéresse ici) est la taille de l’objet avec lequel l’interaction se produit (a).
Lorsque l’objet présente une taille très inférieure à la longueur d’onde incidente (a<<λ) – typiquement des atomes ou de petites molécules – ce dernier va réémettre l’onde incidente dans toutes directions de manière uniforme (diffusion isotrope) sans modification de la longueur d’onde initiale (diffusion élastique) ; mais avec une puissance inversement proportionnelle à la puissance 4 de la longueur d’onde λ du rayonnement incident. De fait, les hautes fréquences (donc les longueurs d’onde plus petites) sont mieux rayonnées dans ce cas que les basses fréquences (grandes longueurs d’onde).
Ce phénomène de diffusion, dit « diffusion de Rayleigh » explique par exemple la couleur bleue du ciel sur Terre : les longueurs d’onde « bleues » sont diffusées 16 fois plus que la lumière rouge. De la même manière, il explique le phénomène de rougissement de la lumière des étoiles éloignées par le milieu interstellaire.
En revanche, lorsque l’objet avec lequel l’interaction se produit possède une taille plus importante que la longueur d’onde incidente (a>λ), la diffusion va s’effectuer de la même manière pour toutes les longueurs d’ondes sans altération de ces dernières mais de manière non-isotrope : la lumière est alors diffusée dans des directions privilégiées et peut être soit déviée, soit réfléchie vers la source.
On parle dans ce cas de « diffusion de Mie » (du nom du physicien allemand Gustav Mie, qui la décrivit en détail dans un article publié en 1908).
Cette théorie peut s’appliquer par exemple dans le cas des gouttes d’eau (phénomènes atmosphériques tels que les arc-en-ciel en complément des phénomènes de réfraction et de dispersion associés à la réflexion, couronnes, nuages, etc.).
Pour déterminer le type de diffusion à l’œuvre dans les nuages de poussières, il est donc primordial de connaître la nature et la taille des éléments dont ils sont constitués. On désigne le plus souvent cette matière interstellaire sous le terme générique de « poussières », mais celle-ci est en réalité plus diversifiée que ce que son appellation ne suggère.
Tout d’abord, d’où vient cette « poussière » ? Les grains de poussière interstellaires sont en réalité générés par les étoiles en fin d’évolution, lors des phases d’éjection gazeuses, puis lors du stade de géante rouge à fort vent stellaire. On observe, par exemple, que certaines étoiles géantes assez vieilles génèrent des « enveloppes » contenant une grande quantité de silicates ou de graphites.
Les atomes ainsi projetés hors des étoiles, dans le milieu interstellaire froid, s’associent alors en molécules dont certaines peuvent se solidifier. Ces grains peuvent ensuite, si le milieu est suffisamment dense et froid, par exemple dans les nuages moléculaires, s’accroitre en taille par effet de coalescence répétée de grains plus petits.
Du fait de ce mode de formation, la poussière solide ne constitue qu’une partie minime du milieu interstellaire (1% de la masse totale), et les grains de petite taille sont plus nombreux que les grains de grande taille (puisque ces derniers sont constitués par une agglomération des petits grains entre eux…).
Les astronomes classent ainsi les poussières interstellaires en 3 catégories distinctes :
Outre l’absorption d’une partie du rayonnement reçu (réémis ensuite dans l’infrarouge) et d’une petite fraction qui est réfléchie, l’essentiel du rayonnement incident est diffusé par ces poussières. Pour les plus gros gains, la diffusion de Mie s’applique, tandis que pour les plus petits grains (a < 15nm) la diffusion de Rayleigh prévaut.
Pourquoi les nébuleuses par réflexion sont-elles donc associées systématiquement à la couleur « bleue », alors qu’on voit par l’étude de ces différentes caractéristiques et des théories de la diffusion, qu’une telle nébuleuse peut prendre n’importe quelle couleur prédominante des étoiles environnantes, si tant est que la composition du nuage de poussières le permette ?
L’explication la plus simple à ce « raccourci » est que la grande majorité des nébuleuses par réflexion que l’on peut observer, sur les quelques 500 cataloguées, sont effectivement bleues.
Les exemples, parmi les objets bien connus des astronomes amateurs, ne manquent pas : pour partie la nébuleuse du Trèfle (M20), la nébuleuse de la tête de sorcière (IC 1909, dans Orion), les nébulosités autour de l’amas des Pléiades, M78 ou encore la nébuleuse de l’Iris (NGC 7023)…
Toutefois, ce raccourci est trompeur, puisqu’on observe également des nébuleuses par réflexion d’autres couleurs ; à l’instar :
On le voit, contrairement à une idée assez répandue, les nébuleuses par réflexion ne sont donc pas toutes bleues !
Malgré ces quelques « contre-exemples », il n’en demeure pas moins que ces nébuleuses par réflexion plutôt rouges, oranges, jaunes ou blanches demeurent largement minoritaires…
Comment expliquer, alors, que les nébuleuses par réflexion soient très majoritairement bleues ?
Tout d’abord, si l’on résume les conditions à remplir, il s’agit de l’hypothèse la plus fréquente. En effet, pour que le rayonnement majoritairement diffusé par un nuage de poussières soit bleu, deux cas de figure sont possibles :
Or, les grains de poussière de grande taille étant également les moins répandus, la possibilité d’une telle combinaison est donc plus rare.
Dans le cas de IC4592, les poussières sont illuminées par l’étoile Jabbah (ν Scorpii), qui est en réalité un système septuple d’étoiles, composé de deux sous-systèmes principaux composés respectivement de 4 et de 3 étoiles.
L’étoile principale de ce système est de type B, c’est à dire une étoile très chaude et très lumineuse rayonnant principalement dans le bleu et l’ultraviolet, d’où la couleur diffusée par le nuage de poussières environnant.
La nébuleuse IC 4601 (visible en haut à droite sur l’image) est également une nébuleuse par réflexion, illuminée par deux étoiles doubles, dont certaines composantes sont également des étoiles de type B.
Ci-dessous, la comparaison de IC4592 en lumière visible et en infrarouge : les zones les plus rouges correspondent aux petits grains de poussière solides (λ=22µm), tandis que les zones jaunes indiquent la présence de plus petites molécules aromatiques (λ=12µm).
Photographier la nébuleuse IC 4592 pose deux difficultés principales : le champ et la hauteur sur l’horizon. Avec une dimension de plus de 4° de long, la photographie de cette nébuleuse exige donc de disposer d’un champ photo assez large et parfaitement corrigé (en raison de la grande densité d’étoiles dans cette région de la Voie Lactée). A défaut, une mosaïque doit être envisagée…
Par ailleurs, depuis nos contrées, cette nébuleuse culmine à une hauteur limitée sur l’horizon (en moyenne 25° en France métropolitaine), ce qui implique de disposer d’un horizon sud bien dégagé et dépourvu au maximum de toute pollution lumineuse pour espérer l’observer dans de bonnes conditions. Cette absence de pollution lumineuse est d’autant plus importante que la photographie de cette nébuleuse doit être réalisée en LRGB.
Pour réaliser cette superbe image, Brendan Kinch a utilisé un setup optimal, combinant grand champ et parfaite correction, en associant une FSQ-130 avec un capteur 16200. Irlandais installé en Espagne, dans la région de Murcia, il a ainsi pu profiter d’une hauteur sur l’horizon plus importante à 32° (plus favorable que dans l’autre sens, car en Irlande cette nébuleuse dépasse à peine les 15°…).
L’image finale, combinant des poses réalisées en LRGB, met parfaitement en lumière les différentes composantes de cette nébuleuse, avec de subtils dégradés entre les zones de réflexion et les zones d’absorption. Alors qu’il aurait été tentant sur une telle cible de chercher à augmenter le contraste afin de rehausser les bandes de poussières sombres, Brendan a conservé pour cette image une luminosité globale assez haute : les nébulosités sont ainsi mises en valeur de manière douce, tout en conservant un fond de ciel riche et plaisant.
Malgré un ciel relativement affecté par la pollution lumineuse, Brendan a également parfaitement réussi à restituer la beauté des couleurs naturelles de cette nébuleuse : le traitement est subtil et maitrisé (la gestion du bruit et des couleurs est particulièrement remarquable), ce qui se confirme par l’aspect des étoiles (fines et colorées).
Au final, une image naturelle et équilibrée, dont le traitement se fait oublier… ce qui est le plus souvent une qualité !
Irlandais installé en Espagne, Brendan Kinch a débuté l’astronomie amateur sur le tard, mais s’est rapidement équipé d’un matériel performant : après un Meade 10″ et une FSQ106, son instrument de prédilection est désormais une FSQ130 ; un instrument récent mais presque déjà « mythique » dont Takahashi a arrêté la production après seulement quelques petites années de commercialisation…
Disposant aujourd’hui d’un observatoire personnel construit dans son jardin (qu’il peut contrôler à distance), Brendan ne compte plus les heures pour obtenir les données nécessaires à de bonnes images !
Son site personnel propose une description détaillée de son matériel et de son observatoire, ainsi que bien sûr l’ensemble de ses images, avec la possibilité intéressante de les consulter par ordre chronologique : une manière de mesurer les progrès accomplis… une visite fortement recommandée !
En complément de la présentation succincte ci-dessus, je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous le récit de Brendan Kinch sur son parcours en astronomie, que j’ai trouvé des plus intéressants !
« Beaucoup d’astronomes et d’astrophotographes vous diront qu’ils ont acheté leur premier télescope très jeunes. Pas moi, j’en ai bien peur – j’avais alors plus de 50 ans.
Ayant grandi dans une ville de taille moyenne en Irlande, le ciel nocturne n’est pas quelque chose qui ressort particulièrement des souvenirs de ma jeunesse. Cependant, ayant rejoint la marine marchande à 18 ans, j’ai rapidement pu contempler la beauté et de l’immensité du ciel au-dessus de nous. Imaginez un navire au milieu du Pacifique, sans pollution lumineuse et des étoiles s’étendant d’un horizon à l’autre. On ne pouvait que s’émerveiller, comme l’ont fait nos lointains ancêtres.
À cette époque, nous faisions le tour du monde en naviguant à l’aide des étoiles, d’un sextant et d’un chronomètre de marine. Le GPS n’existait pas au début des années 70… En tant que jeune navigateur, j’ai appris à connaître les étoiles et les planètes de manière très intime. Ils étaient littéralement mes guides.
Avance rapide jusqu’en 2005 environ : je vis maintenant à Murcie, en Espagne. Il m’a fallu quelques années avant de penser à acheter un télescope. Finalement, lorsque l’occasion s’est présentée, j’ai acheté un télescope Meade 10″ d’occasion pour mieux profiter de la vue nocturne vers le sud. Malheureusement, la pollution lumineuse est assez prononcée dans les trois autres directions.
Au bout d’un an, j’ai décidé de me lancer dans l’astrophotographie. Mais il était presque impossible pour un débutant de faire des images avec une monture altazimutale, un télescope à f/10 et une caméra couleur avec un TRES petit capteur (j’ai quand même essayé…).
Finalement, j’ai acheté une Takahashi FSQ-106 d’occasion en Angleterre et, quelques mois plus tard, une monture Takahashi EM200 (d’occasion également) au Portugal. Mon voyage dans l’astrophotographie pouvait commencer !
J’ai développé mon site web (KinchAstro.com) alors que j’améliorais mes compétences en imagerie. Les progrès réalisés au fil des ans sont assez évidents. J’aime y laisser mes vieilles images, pour que d’autres puissent également s’en amuser. Nous sommes tous nuls au départ, mais avec de la patience et de la persévérance, nous nous améliorons lentement. C’était un grand défi (nouvel équipement, nouveau site web, nouveau logiciel (SGP et PixInsight)), mais j’en ai apprécié chaque minute.
Pour mon dernier matériel, je suis resté fidèle à Takahashi : j’utilise désormais une FSQ-130 (j’adore cette lunette !) sur une monture EM400.
En terme d’équipement, mes objectifs sont désormais remplis… mais malheureusement pas en terme d’emplacement (entre la pollution lumineuse et la forte humidité au bord de la mer, je suis loin d’être dans un endroit idéal – mais ma femme ne changera pas d’avis maintenant !). J’ai toutefois continué à améliorer et à moderniser mon observatoire au cours des dernières années. Terminées les longues nuits passées dehors : j’ai maintenant une installation entièrement contrôlable à distance au fond de mon jardin (voir les photos sur mon site web).
Avec la pollution lumineuse présente ici, dans une zone semi-urbaine, l’imagerie à bande étroite est préférable à l’imagerie RGB ; et grâce à des filtres Astrodon très sélectifs (3nm), je peux obtenir malgré tout un bon résultat final en y passant du temps. Ayant acheté une bonne caméra CCD, je doute que m’oriente prochainement vers les nouvelles caméras CMOS.
Etant à la retraite, je ne suis pas pressé….. s’il faut deux semaines pour terminer une image (comme c’est souvent le cas), cela me convient ! »
Date : 12 au 15 mai 2021
Lieu : Région de Murcia (Espagne)
Optique : Takahashi FSQ 130 (f/3,5)
Monture : Takahashi EM 400 Temma2
Caméra : FLI ML16200
L : 30 x 180s (bin1)
R : 30 x 180s (bin1)
G : 30 x 180s (bin1)
B : 30 x 180s (bin1)
Total : 6h
Les Photons d’Or récompensent chaque mois une image particulièrement remarquable réalisée par un amateur… n’hésitez pas à proposer vos images !
Une nouvelle caméra et un nouveau train optique intégrant un rotateur de champ… le setup est désormais quasi-totalement automatisé pour les séances d’acquisition !
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Hubert Reeves nous a quitté le 13 octobre 2023. Parti rejoindre les étoiles qu’il aimait tant, il laisse les amoureux du ciel ici-bas emplis d’une infinie tristesse. Hommage à celui qui aura été une source d’inspiration pour beaucoup d’astronomes amateurs.